écrit par Tom Belarbi--Jean
Initié en 2017 avec Jackie, le metteur en scène chilien Pablo Larrain conclut une trilogie de biopics centrées sur les grandes dames du 20e siècle avec Maria, portrait de la cantatrice De Callas lors des derniers jours de sa vie. L’impatience de découvrir Maria était grande, car bien que la mode des biopics soit vieille comme le monde, propice à un académisme ronflant voire ringard et esthétiquement pauvre, le réalisateur derrière avait prouvé qu’il savait comment remanier l’Histoire des personnages qu’il met en scène pour l’inclure dans une œuvre d’art aussi riche que stimulante, et surtout, hors des sentiers battus. Comme lorsqu’il s’intéressait à Lady Diana et Jackie Kennedy, le metteur en scène se concentre ici sur une période précise et sombre de ces femmes pour ainsi brouiller tout le long de ses films la barrière entre fiction et réalité. Pourtant ce dernier point n’intéresse pas tant Pablo Larrain dans la forme, Spencer se déroulant notamment dans un contexte totalement fictif, imaginé par le réalisateur pour cependant offrir un vision resserrée et même ironiquement authentique de ce qui caractérisait la figure de Lady Di ; du point de vue de la royauté anglaise que dans la plus profonde intimité de la princesse. On est dès lors loin du biopic classique, wikipédiesque, cherchant à conter (voire à lisser) la vie d’un ou d’une artiste, mais bien à créer de l’art et un portrait trouble, mue de fantasmes ne respectant ni une quelconque chronologie d’événements, ni des faits et anecdotes vérifiables (ou non), mais bien de plonger dans la psychologie des personnages, pour ne pas dire, leurs tréfonds.
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Comme précédemment, Maria va donc raconter la vie d’une femme à un point d’orgue, et pas n’importe lequel pour une cantatrice aussi renommée que Maria Callas, puisqu’il s’agit du crépuscule de sa vie, les quelques derniers jours avant sa mort où son quotidien est complètement brouillé par une addiction aux médicaments qui aura raison d’elle et une voix vacillante, détériorée, rappelant une gloire passée qui ne reviendra que pour l’achever. Comme dans Jackie et surtout Spencer, Maria se vit comme une vraie quête labyrinthique vers la psyché de l’artiste éponyme, le film, bien que se concentrant sur une partie très courte de sa vie, ne choisit jamais une narration chronologique, au contraire, il cherche à brouiller constamment le spectateur de la ligne temporelle du récit, et surtout, celle entre réalité et fiction. Le personnage de Maria n’hésite pas à briser le quatrième mur, pas directement en lançant un clin d’oeil au spectateur, mais bien en sortant de la diégèse réaliste du récit, en incorporant des instants de pur fantasme, voire d’onirisme, la présence de fantômes, la matérialisation d’un médicament, etc. Le problème peut être qu’à force de voir Pablo Larrain enchaîner les idées et visuels plus ou moins son film peut s’auto-saborder, à la fois car il épuise son spectateur mais aussi car la puissance première que déploie le metteur en scène peine parfois à égaliser le reste de l’œuvre, et j’ai personnellement eut l’impression que le film se répétait, notamment dans ses scènes de flash-back. Un peu comme si le réalisateur chilien avait trop tôt dévoilé toutes les cartes qu’il avait en main, au point de plus paraître pour un styliste qu’un metteur en scène cohérent, pour autant c’est aussi ce qui fait le charme et la puissance du film, sa désorientation constante. Au gré de 2h que je n’ai pas vu passer, on s’immerge constamment dans ce monde empreint de spleen et sans le moindre compromis formel, il me paraît au contraire cohérent, bien que casse gueule, de voir Larrain à ce point aller à fond dans son dispositif. Maria en devient jusqu’au boutiste, même dans sa technique pure, avec sa photo accentuant les teintes jaunes et verdâtres d’un Paris qu’on dirait altéré et pourrit, à l’inverse même d’une esthétique de « carte postale ». D’ailleurs un mot sur le casting, avec notamment en secondes rôles les exceptionnels acteurs italiens Pierfrancesco Favino et Alba Rohrwacher, s’effaçant complètement, s’assumant spectateur de la désacralisation de Maria Callas, ayant comme un point de vu plus objectif et réel sur la dégradation de l’état mental de leur hôte. Elle est interprétée par Angelina Jolie, et elle ne tombe pour moi pas dans la banale performance à Oscars, tant elle travaille elle-aussi un vrai jusqu’au boutisme, mimant l’intensité de la cantatrice dans l’unique but de la rendre faillible, dans un pur but esthétique et non de performance. Elle participe à incarner la palette d’images et de tons que revête le métrage, mais aussi à transgresser l’iconisation de Callas, à la fois dans ses habitus bourgeois comme sa recherche d’attention dans un café chic se transformant en dialogue quasi kafkaïen autour de la reconnaissance de l’autre, là où d’autres réals auraient filmés le tout comme des vacances de riche, Pablo Larrain dynamite au contraire ce système de prestige pour n’en ressortir que de la dégradation mentale et physique (le film mettant un point d’honneur à rappeler l’anorexie de sa protagoniste. Surtout cela permet à Maria d’être, presque autant que Spencer, un quasi thriller schizophrénique, multipliant les niveaux de réalité et la conception qu’en font les personnages pour un rendu, non pas logique mais sensoriel. Le metteur en scène se place hors des cases pour faire un portrait d’une artiste en proie à sa propre image et surtout son passé, évoluant dans un espace confus mêlant spleen, passion pour l’opéra mais aussi la putréfaction de soi.
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C’est justement en ça que Maria est aussi bouleversant que réussit, car esthétique, il propose quelque chose de rare dans le domaine du biopic, la mort et pourriture d’une artiste de renom, à l’inverse de sa simple célébration, le film annonçant dès le début la fin clinique qui plane au dessus de l’intrigue. En même temps, cela permet aussi au long-métrage d’être un quasi commentaire du genre auquel il appartient. Maria commence pour moi par une idée forte et totalement réussie dans ses 5 premières minutes, où toute la vie de Maria est résumée en un maelström d’images, mêlant super 8, noir & blanc chromé, passé, présent et fin de vie, 1h50 de films sont compactée en un bloc dense mais saisissant sur fond d’une de ses interprétations musicale. Pourtant ce n’est pas juste pour prendre le contre-pied du genre qu’apporter un sentiment plus sophistiqué et complexe au spectateur, celui de la mélancolie. On a l’impression de voir passer une vie en un éclair, des images fortes, gravées dans la mémoire du spectateur et du personnage, qui seront réemployées plus tard en faisant appel à ce désormais imaginaire collectif. La comparaison entre la voix actuelle et passée de Maria Callas en devient frappante, beaucoup plus douloureuse et poignante en ayant ce contexte, le film n’hésitant pas à malmener son personnage, en montant en parallèle la gloire passée avec la déchéance présente ; et c’est en ça que la performance de Jolie n’en n’est pas une, car elle ne joue pas la dégradation du personnage, c’est Pablo Larrain qui la montre, et surtout la monte comme tel. La frustration du personnage vient dès lors logiquement s’incarner à l’image, par ces fantasmes d’orchestre rappelant cette phrase iconique prononcée durant le film « my life is opera ». Mais c’est aussi, je pense, un commentaire sur le genre du biopic, car au final, ces scènes, parfois prises sans contexte particulier, peuvent se référer à de faux passages de comédie musicale, qui déjà, imagent la réalité par une chorégraphie fantasmée, mais qui est ici statique, presque funéraire et menaçante. Le fantasme est même dès lors intégré au film, le décalage entre le personnage de Maria et son entourage s’en retrouve d’autant plus béant, et le spectateur peut vivre ce sentiment étant donné qu’après avoir recréé un imaginaire collectif au sujet de la cantatrice, Larrain en fait appel à un préexistant sur la comédie musicale, et surtout à l’art qui l’intéresse ici : l’Opéra. L’orchestre s’immisce dans les décors et la tragédie des personnages, en devient comme ici un acteur, et si cela peut faire « faux » ou tout simplement « petit malin », c’est aussi une des composantes de la démarche esthétique de Pablo Larrain, qui comme dans les représentations de Callas, va trop loin, ne cherche pas à être « raisonnable ». Les dialogues viennent même presque prévenir du processus employé par le réalisateur, dans sa manière de constamment jouer sur plusieurs niveaux de réalité et de chronologies, mais aussi pour incarner même dans le caractère purement thématique de ces dialogues, une fausseté assumée, comme si les personnages étaient conscient de leur état ; rendant ironiquement les émotions du métrage d’autant plus grisantes, tant ce film pouvant paraître repoussoir et froid arrive à être prenant et touchant pour quiconque accepte les règles posés par le réalisateur.
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Maria est la preuve que Pablo Larrain est un metteur en scène clivant, ne cherchant jamais à proposer une expérience agréable pour le spectateur, il en ressort pourtant des grands moments de cinéma, troublants, tragiques et pour ma part passionnants. Pourtant malgré sa cruauté envers ses personnages, le metteur en scène les aimes, et arrive à offrir un portrait digne à Maria Callas, mettant grandiosement en scène les troubles ayant altéré sa stature, mais pas sa grandeur d’âme, explorée jusque dans ses derniers retranchements. Le réalisateur assume de fantasmer l’image de Maria pour en faire une œuvre de cinéma exigeante, mais terriblement prenante voire angoissante sur la question de la fin de vie, de la décrépitude de soi au contraire de l’art qu’on a pu créer, c’est poignant mais aussi passionnant.
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