Cannes Jour 3 - Une mobylette à Tapeï, des boutons qui grattent, La Défense, La Covid, un permis de conduire et une ville de pêchés
- Tom Belarbi
- 17 mai
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 1 jour
écrit par Tom Belarbi--Jean
C’est déjà mon troisième jour à Cannes, la routine commence à s’installer, les petits réflexes de ce nouveau quotidien aussi, et globalement, après une journée déjà très chargée la veille, je n’apprend pas de mes erreurs et suis repartit pour 6 visionnages journaliers, et pas des moindres en plus, loin de là !
Shih-Ching Tsou ne sera sûrement pas un nom qui parlera à grand monde, et pourtant, elle n’est pas venue de nulle part puisqu’elle est ni plus ni moins que la compagne de Sean Baker (LE Sean Baker, oui oui). Et par compagne, j’entends aussi collègue, car c’est elle qui a produit, monté et même joué dans les films de Baker, en plus d’avoir co-réalisé avec lui Take Out. Et clairement ce serait mentir que de dire que la réalisatrice ne marche pas sur les pas du désormais oscarisé cinéaste, ce qui n’est pas étonnant, étant donné qu’il est lui-même monteur et producteur du projet. Du coup Left-Handed girl, c’est parfois beaucoup trop proche dans le ton et la forme d’un Florida Project, en gardant constamment le point de vue de sa protagoniste enfant, mais aussi d’un Tangerine avec ces visuels urbains faits de néons, de courte focale et d’une caméra particulièrement vive, laissant presque imaginer qu’il a aussi été tourné à l’Iphone ; et à force ça peut donner au film une allure un poil impersonnelle. En revanche, l’énergie qui est déployée tout du long reste intacte, tout vas à 1000 à l’heure, entre scènes d’intimités (dans tous les sens du terme) traitées au premier degré, que le regard juvénile de cet enfant, empreint à créer énormément de rire, malgré que sur le papier, le destin de laissée pour comptes d’une famille sans le sou à Tapei n’avait pas grand-chose de drôlatique, la salle était en tout cas globalement conquise. En même temps difficile de faire la fine bouche face à une œuvre globalement réjouissante sur tous les aspects, menée tambour battant par son casting, avec un rythme extrêmement efficace et un constant refus de tomber dans le misérabilisme qui rend notamment son climax terriblement grisant, voire jouissif, malgré ses révélations dramatiques. Un très beau potentiel au palmarès de cette Semaine de la critique donc…

Première incursions pour moi dans la section Un Certain Regard, terre de prédilection pour la découverte de nouveaux talents, d’oeuvres hors-normes, trop fragiles pour la compétition officielle, mais tout aussi méritant d’une mise en lumière en « sélection officielle », et parmi les humbles projets dont on savait peu ou prou pas grand-chose, j’avais jeté mon dévolu sur ce The Plague, premier film du metteur en scène américain Charlie Polinger, qui filme avec brio l’intranquillité de l’adolescence, à mi-chemin du film d’horreur, où les jeux idiots, les brimades et autres éléments de cette micro-société prennent petit à petit une dimension inquiétante. Tout le pitch reposant sur le quotidien d’un camp de vacances de water-polo, où un enfant est infecté par « la peste », une maladie ultra contagieuse qui le met en marge des autres mioches mais qui fait se poser des questions à l’un d’entre eux, quitte à le payer cher. Pas tant de ressorts d’horreurs, si ce n’est une pointe de body horror dans ce qui n’est qu’une allégorie de la puberté, mais avec une atmosphère profondément malsaine et constamment pesante, bien que son sound design puisse sembler un peu trop grandiloquent (en mode Hans Zimmer), comme la mise en scène, il décrit à merveille la turbulence omniprésente des personnages, jusqu’à intensifier chaque scène, parfois pourtant déjà vues sur ce genre de teen movie. Le film met en lumière la cruauté des enfants, d’un point de vue plus moral et psychologique, leurs rapports violent à la différence et aux préjugés, et même si tout ça aurait mérité d’aller un peu plus loin dans le morbide, il reste d’une grande et constante intensité narrative et visuelle, accompagné d’un casting absolument dément.

Toujours à Un certain regard, mais cette-fois avec un metteur en scène confirmé, par son nombre de réalisation, mais surtout par leurs qualités, Stéphane Demoustier réalise avec L’Inconnu de la grande arche, une œuvre classique mais qui confirme son talent, et surtout, son sens de la mise en scène, en constante précision. On y suit l’architecte du « Cube » de La Défense dans son acharnement à la réalisation du projet, dans un film ayant autant l’atour du film politique que du biopic, avec une pincée d’humour pas piquée des hanneton, s’amusant de ces hauts-fonctionnaires paumés face à un artiste en plus ou moins roue libre. Dommage que tout ça soit moins captivant qu’escompté sur la durée, en particulier lors du second tiers, très machinal, mais qui donne suffisamment de matière pour que le metteur en scène développe un penchant moins optimiste et même particulièrement mélancolique et amer à son récit. Puis niveau mise en scène, clairement, depuis le gentillet Jeune fille au bracelet, Stéphane Demoustier a pris un niveau de maturité et d’aisance remarquable, tout y est millimétré, la photo et la manière de filmer les décors rappelleront sans aucun doute un The Brutalist (bien que plus mineur), mais avec une précision de chaque instant, sans que le moindre plan fasse tâche, et tout comme dans Borgo, le casting est de haute, voire de très haute volée, mention spéciale à Xavier Dolan qui rappelle qu’en plus d’être un grand cinéaste, c’est un excellent comédien (et même un peu comique).

LA grosse machine qui engouffre des milliers de spectateurs, LE film qui fait bouillir d’attentes nombre de festivaliers, entre autre, une des grande attente du Festival de Cannes, Eddington d’Ari Aster, avec Joaquin Phoenix, Pedro Pascal et un peu Emma Stone, dans une satire prenant des atours de western, et comme c’est de mise chez son réalisateur, dérivant de plus en plus vers des contrées aussi inattendues qu’étranges. Ce qui saute aux yeux avec ce film, c’est en tout cas qu’on peut penser ce que l’ont veut d’Aster, il est un des seuls réalisateur de son genre à pouvoir proposer à chaque nouveau film un nouvel univers, de nouvelles idées, de nouveaux genres explorés, mais dans une totale continuité de ses œuvres précédentes, et en particulier ici, du déjà redoutablement clivant Beau is afraid. Ici bien moins que de jouer sur l’absurde et l’onirisme, on est dans la satire, voire la parodie à quelques lieux de South Park, tant les personnages bouffons, les situations complètement exagérées, jusqu’aux performances et au scénario peuvent faire penser à un long épisode de la série de Trey Parker et Matt Stone. Le problème c’est qu’en ce sens, c’est trop court pour développer la multitude d’enjeux, de personnages secondaires, d’intrigues et même de trajectoires de personnages, mais que leur présence donne au film le sentiment de s’éterniser un peu trop, surtout dans la première moitié, qui installe longuement les bases avant de redémarrer son jeu de massacre sous un prisme plus sombre et inattendu. Donc ce n’est pas le film le plus passionnant ou entêtant d’Ari Aster, mais une œuvre courageuse pour son ambition grand guignol, qui confère au film des moments de fou rire et de chaos toujours aussi rares et précieux dans le cinéma américain. Puis il faut le dire, Ari Aster est un grand metteur en scène, et même si ce film dépote visuellement moins que ses précédents, il est d’une grande rigueur d’exécution, arrive à constamment jouer avec le regard du spectateur, et inclus en plus dans son dispositif le monde du numérique pour ancrer encore plus ses fake news dans une réalité presque palpable, en plus d’être un ressort d’étouffement.

Le roi de la comédie aujourd’hui, ce sera non pas du côté d’un américain, mais bien d’un français (coco-rico!) avec le retour pour ma part très attendu de Martin Jauvat, après le fragile mais passionnant Grand Paris, car le monsieur avait en un film et quelques courts fauchés, déjà installé son univers, son humour, ses références et avec en plus un casting d’exception, comptant notamment lui-même, Willaim Lebghil, Sébastien Chassagne, Emmanuelle Bercot ou même Michel Hazanavicius. Et que dire si ce n’est que ça a été une belle bulle, un moment de fun et de fou rire constant et particulièrement jouissif, en dépit d’un rythme perdant à mon sens un peu trop son souffle, mais au timing comique constamment ravageur, foufou, burlesque et cartoon. Martin Jauvat continue d’approfondir son univers visuel, malgré qu’il soit bien plus à l’aise financièrement, tout continue de sentir le bric et le broc, mais aussi, une grande précision dans une esthétique au final très simple, jouant sur des champs-contrechamp, des couleurs pastels et des effets de montage plus ou moins kitsh pour donner à voir un moment de bonheur sans équivoque, arrivant en plus, en gardant constamment son approche feel-good, à faire un beau portrait de personnage, en particulier du côté des parents et de chaque personnage secondaire.

Bon bah c’était une très bonne journée, des rires, des frissons et un selfie avec une queen du 7e art que je garde pour moi, tout roule, alors allons conclure cette magnifique soirée par l’un des films les plus attendu du festival : Son of the neon night de Juno Mak. Après tout, qu’est-ce qui pourrait mal se passer ? Bon ok le film dure 2h20 (aïe) et la séance est à 00h15 (ouille), mais a dû commencer 20 minutes en retard (ouch), mais on est plus à ça près niveau fatigue, alors, plongeons dans le récit néo-noir de ce hong-kong en mode sin city qui aura quand même mis plus de 6 ans à voir le jour. Eh bah ce que j’attendais pas, c’est un joli mélange entre Megalopolis et The Last Face, oui, rien que ça. Pour le premier, parce qu’au-delà du fait que je serai incapable de vous expliquer le scénario, ou même les enjeux de cet énorme bordel, ce film n’a fait que sonner pour moi comme un projet trop gros, trop ambitieux pour son réalisateur et dès lors, intenable esthétiquement comme narrativement parlant. Et là où Coppola arrivait au moins à proposer quelque chose de novateur, là, malgré de grands moments de grâce, on est pas loin d’un Zack Snyder, avec du numérique en abondance et des découpages de l’action souvent peu lisibles malgré quelques belles idées dans l’utilisation du numérique, dans une d-a et mise en scène aux abords de jeu vidéo. Mais les bonnes intentions s’écroulent face à l’ineptie du scénario, tout bonnement incompréhensible, trop appuyé pour s’en détourné, semblant faire poper ses personnages ici et là sans raison, avec des motivations vagues, une évolution existante mais jamais appuyée, etc, bref le parfait cocktail pour proposer incompréhension, sommeil et le dégoût de rester éveiller trop tard pour ce genre de bêtises. C’est purement et simplement du sabotage, et une incompréhension totale de sa sélection (d'où la comparaison au navet de Sean Penn), car là, tout ce que je peux dire, c’est que j’ai l’impression d’avoir assisté à un film pas monté, pas fini, pas abouti, un ours, où toutes la matière du film est présente mais jamais dosée, ce qui donne en fin de compte un goût très très amer d’indigence. Voilà un bien triste constat pour un film qui a mis tant de temps à se faire et à pouvoir voir le jour, tant d’attentes et d’efforts réduits à néant, des applaudissements excessifs d’un public (parfois venu de là-bas) chaud bouillant, qui a progressivement quitté la salle en manquant quand même un bout cette arnaque ; en corbeille, tout mon rang a été vidé (pratique pour les jambes) et je serai gentil de compter plus d’une centaine de départs).

Heureusement la journée du lendemain devrait palier à ce joli furoncle, avec notamment au programme : des lesbiennes, des arc-en-ciels, de la maladie, un bout de souffle et du dérèglement mental.
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