Martin Scorsese, plus de 80 ans d'existence, 67 ans de carrière, 27 films, 25 prix dont 2 Oscars
(Pour Les Infiltrés, son seul oscarisé à ce jour malgré 12 nominations pour l'ensemble de sa carrière)
Son premier film Who's That Knocking at My Door remonte à 1967, alors que son dernier film en date, l'exceptionnel Killers Of The Flower Moon, est reparti bredouille des Oscars 2024.
Il ne s'arrête pas là et prépare activement ses prochains projets sur Frank Sinatra et Jésus ainsi que l'adaptation de Home de Maryline Robinson qui serait apparemment produit par les studios Apple Studios, et dont le tournage est prévu pour 2025. Le réalisateur aurait également prévu un film sur la vie de ses parents.
Mais avant que tous ces projets ne voient le jour, retour sur la filmographie pas si criminelle d'un des réalisateurs les plus sacrés de notre siècle
Un cinéaste influent qui a fait bien plus que de grands films sur les gangsters.
On revient sur quelques classiques tout de même avant ?
LES AFFRANCHIS ET CASINO LES CLASSIQUES CLASSIEUX DE SCORSESE
Voilà 66 ans que Martin Scorsese et son œuvre, aussi sombre et violente soit-elle, fascine et marque les esprits. Au fil des années et même des décennies, le metteur en scène s’est forgé une réputation de spécialiste “ des films de mafieux “ avec des fresques criminelles aujourd’hui cultes comme Les Affranchis sorti en 1990 qui demeure son chef-d'œuvre pour beaucoup.
Au casting on retrouve des habitués du cinéma de Scorsese comme Robert De Niro et Joe Pesci, le regretté Ray Liotta, Lorraine Bracco et Paul Sorvino complètent l'affiche.
Le film adapté du roman du journaliste et écrivain Nicholas Pileggi, Wiseguy paru en 1986, se base sur le vrai gangster new-yorkais Henry Hill et raconte l'histoire de ce dernier, de ses plus grandes heures dans le syndicat de la mafia, jusqu'à sa chute avec ses amis truands Jimmy Conway et Tommy DeVito ( De Niro et Pesci )
Si on cite régulièrement ce classique comme une référence Scorsesienne ; voire même comme le plus grand film jamais réalisé sur la mafia, on peut tout autant parler du très élégant et solide, mais bien plus méconnu Casino. Le scénario est inspiré par la vie de Frank Rosenthal, le directeur d'un des plus célèbres temples du jeu de Las Vegas. A noter que le cinéaste collabore à nouveau avec Nicholas Pileggi, avec qui il a coécrit Goodfellas.
Sorti 5 ans plus tard ,il reforme pour la troisième fois ( Après Les Affranchis et Racing Bull ) le duo De Niro- Pesci qui campent Sam Rothstein et Nicky Santoro , des amis de longue date qui vont petit à petit prendre des chemins opposés lorsque débarque la vaniteuse et glamour Ginger McKenna joué par Sharon Stone, qui livre ici sa plus grande performance.
Ce personnage instable en proie à la toxicomanie vaudra à l'héroïne de Basic Instinct (sorti deux ans plus tôt), une nomination à l'oscar de la meilleure actrice pour la 68ème cérémonie en 1996 . La récompense reviendra néanmoins à Susan Sarandon pour son rôle d'Helen Prejean dans la Dernière Marché sorti l'année précédente. Sharon Stone se contentera d'un Golden Globe. Cette nomination sera la seule dans cette cérémonie pour Casino, contrairement aux Affranchis nominés 5 fois en 1991, et le seul vainqueur était Joe Pesci, reparti avec la statuette du meilleur second rôle.
SCORSESE ET LA MAFIA MAIS ENCORE ?
Cependant, sur les 26 films qu’il a réalisés, on ne compte que 7 films où il ne s’intéresse vraiment qu’à cette industrie. Après et avant ceux évoqués plus haut, on retrouve cet univers dans Mean Street, qui marque la première collaboration entre De Niro et le réalisateur. Il y intègre le personnage de son futur acteur fétiche dans le milieu aux côtés d'Harvey Keitel, puis il poursuit avec La Couleur de L’Argent, Les Infiltrés, Le Loup de Wall Street et The Irishman, dont le dernier peut représenter une apothéose à ce cinéma là, dans lequel ses acteurs fétiches sont tous vieillissants et des légendes du 7ème art tous oscarisés. Les personnages qu'ils interprètent sont eux aussi des vétérans du crime, de la politique ou de la Seconde Guerre mondiale.
ENTRE LES FEMMES ET LES PERSONNAGES DE SCORSESE LES SENTIMENTS SONT INCOMPATIBLES
En parlant de sentiments, rappelons qu'il en parle aussi dans la grande majorité de ses films, pour montrer que la double vie illégale des anti-héros qu'il met en scène n'est pas compatible avec des relations de couple, ou tout simplement avec les femmes. Parce que oui comme nous le verrons plus bas, Scorsese a toujours laissé beaucoup de place aux femmes.
Dans Taxi Driver, Travis Bickle essaie de fréquenter Betsy (Cybill Shepherd) malgré son côté ermite dû à son passé de marine, ses tentatives de rapprochements échouent. Dans Les Affranchis, Ray Liotta finit en conflit avec sa femme, et même chose entre De Niro et Sharon Stone dans Casino. Même si cette fois-ci c'est la femme qui a un problème dans le ménage. Et répétition avec le couple Leonardo DiCaprio-Margot Robbie dans le Loup De Wall Street. Par ailleurs, dans cette adaptation de la vie de Jordan Belfort, le courtier subit deux échecs maritaux.
QUAND SCORSESE ET DE NIRO PRENNENT DES CHEMINS EXPLORENT D'AUTRES HORIZONS
Martin Scorsese et Robert De Niro, une association qu'on ne sépare plus et qu'on ne dissocie plus, et ce en parallèle de l’ascension qu’il a aussi connue avec son rôle du jeune Vito Corleone dans La deuxième partie du Parrain réalisé par Francis Ford Coppola. Un réalisateur de la même génération que Scorsese. Du fruit de leurs multiples collaborations sont nés des personnages plus charismatiques et différents les uns que les autres, faisant de De Niro l’un des acteurs les plus remarquables de sa génération. Véritable caméléon de cinéma qui s'est aussi donné pour d'autres réalisateurs bien installés Hollywood comme Brian De Palma, Roger Corman, Bernardo Bertolocci, Michael Cimino, Sergio Leone, Terry Gilliam ou encore Michael Mann, pendant que son acolyte depuis ses débuts évoluait également de son côté.
PUIS VIENT UNE NOUVELLE LÉGENDE
En seconde partie de filmographie, on retrouve un certain Leonardo DiCaprio. Une révélation plus jeune tout droit sortie des drames romanesques de Baz Luhrmann et James Cameron, qui a déjà pu impressionner sur grand écran depuis l'âge de 17 ans lorsqu'il tourne dans Gangs Of New York. C'est d'ailleurs grâce à Robert De Niro qui jouait son beau-père dans Blessures Secrètes 9 ans plus tôt qu'il a pu intégrer le casting du film .
Leonardo DiCaprio partage l'affiche avec l’immense Daniel Day Lewis et à une actrice plus habituée aux comédies loufoques, Cameron Diaz. Ce drame révolutionnaire et historique sorti en 2002 est bien accueilli par les critiques et permet à Scorsese de passer à autre chose.
Maintenant que vous avez bien saisi qui est le bonhomme, il serait intéressant de revenir sur les films un peu trop oubliés du monsieur et qui pourtant sont des pierres fondamentales de son œuvre si bien constituée et si diversifiée.
DÉBUT DE CARRIÈRE (AVANT TAXI DRIVER )
WHO'S THAT KNOCKING AT MY DOOR ( 1967 )
J.R ( Harvey Keitel ) est un jeune voyou du quartier de Little Italy , qui verra son quotidien basculé par sa rencontre avec une jeune femme nommé Susan ( Zina Bethune) sur un Ferry qu’il va immédiatement vouloir séduire (dans une séquence magnifique et amusante ou Keitel déballe son admiration pour John Wayne). Peu de temps après, cette conversation se transforme en un début de relation qui sera très vite contrarié par des révélations délicates de la jeune femme sur un viol qu’elle a subi auparavant. C’est un choc pour J.R. qui n’arrive pas à croire à cette histoire qui, selon lui, ne tient pas debout.
UN FILM QUI POSE LES BASES
Un premier film de 1h30 qui ressemble à une conclusion de fin d'études que Scorsese aura mis 3 ans à terminer. Il possède des défauts d’un début de carrière. Montage brouillon presque bâclé, mise en scène à revoir, et un déroulement maladroit de l’intrigue, bref un début laborieux.
On reconnaît tout de même une sincère volonté de Scorsese de nous présenter ici ses thématiques premières qu’il approfondira tout du long de sa filmographie. Ses racines en premier lieu, Martin Scorsese vient de Little Italy, un quartier de New York principalement connu pour sa forte population d’immigrants italiens, qu’il dévoile donc dans ce premier film qui reflète au moins à moitié ce dont il sera capable par la suite et qu'il prend soin de sublimer.
Il présente ensuite une petite bande de frappes du quartier à laquelle appartient J.R., bien entendu on y retrouve le côté “ gangsters “ qui sera très récurrent dans le reste de sa filmographie.
Et l’évidente révélation d’Harvey Keitel spécialiste à cette époque des premiers films de certains futurs célèbres metteurs en scène (Ridley Scott, Paul Schrader, Quentin Tarantino) qui fait ses premiers chez Martin Scorsese avant même Robert De Niro, et s'impose comme une future figure majeur du grand écran.
Who’s That Knocking at My Door laborieux en surface et sur la technique, mais on ressent bien le cinéma sombre, violent de Scorsese, les bases sont posées.
ALICE N'EST PLUS ICI (1974)
Alice, une femme au foyer tout juste veuve d’un mari qui la rendait malheureuse, se rend en Californie avec son fils au tempérament compliqué dans l’espoir d’accomplir son rêve de devenir chanteuse.
Malgré sa détermination, le chemin vers la gloire sera parsemé de rencontres et de désillusions qui ne feront que l’éloigner un peu plus de son rêve.
QUAND ELLEN BURSTYN CHOISIT SCORSESE
Voilà donc le Scorsese le plus unique qui soit, son film hors du temps ( quoique n’oublions pas le mélodrame d'époque Le Temps d'innocence évoqué plus haut ), celui qui prend ses distances avec les autres. Pour la première et unique fois de sa filmographie le réalisateur axe son film sur une femme , cela est dû à la demande d'Ellen Burstyn, interprète de Alice, qui a demandé à Francis Ford Coppola s’il ne connaissait pas un bon metteur en scène pour mettre le script de Robert Getchell.
Ce dernier lui recommande alors Mean Street, l’actrice est convaincue et Scorsese engagé. Burstyn avait alors un contrôle total sur le projet grâce à Warner Bros qui voulait de nouveau collaborer avec elle après L’Exorciste.
LE FILM JUSTE AVANT LA CONFIRMATION
Ce quatrième film intervient au moment où le réalisateur encore “ apprenti “ dans le métier cherche le cinéma qu’il veut faire, sortant alors de Mean Streets qui affichait officiellement son attrait pour l’univers des mafieux en révélant De Niro.
Ce film de Scorsese ne tardera pas à voir sa carrière prendre une tournure qui le hissera à un rang au-dessus. Et en effet, l’année suivante, il confirme avec Taxi Driver.
Alice n’est plus ici est un film pour la femme, un film qui illustre le rêve américain. Un film assez féministe 30 ans avant le classique de Ridley Scott, Thelma & Louise, qui ne pourrait pas être plus féminin et féministe qu’il est.
D’ailleurs coïncidence ou non Harvey Keitel figure au casting des deux films ,dans l’un il tombe sous le charme de l'héroïne alors qu’il est déjà engagé, dans l’autre c’est un inspecteur de police compréhensible qui essaie tant bien que mal d’arranger une situation qui s’aggrave un peu plus à chaque fois. En 30 ans Keitel est ainsi passer du jeune charmeur d’un soir ,à un agent de police qui aide deux femmes en grande détresse .
Voilà donc un film idéaliste, féministe et un brin idyllique sur les bords lors des scènes entre Kris Kristofferson et Burtyn au beau milieu du ranch de ce dernier. Des scènes qui rappellent aujourd’hui Sur La Route de Madison de Clint Eastwood, pourtant sorti en 1995 .
Pas un pur Scorsese mais un film tout de même muni d’une certaine violence sur les bords et qui met en lumière pour la première fois une relation mère-fils dans son cinéma.
Un film plus démonstratif sur la mise en scène et sur la direction des acteurs, en soi un Scorsese comme aucun autre mais un Scorsese réussi.
L'ASCENSION ( CONFIRMATION APRÈS RACING BULL )
LA VALSE DES PANTINS (1983 )
Nous sommes à une période où le réalisateur s’est révélé et trouvé en réalisant des films qui deviendront cultes au fil du temps, Racing Bull est sorti 3 ans avant et Taxi Driver 7 ans avant.
De Niro l'acteur caméléon
Robert De Niro est devenu une sacrée tête de cinéma et un acolyte de taille pour le metteur en scène qui s’apprête à le diriger pour la quatrième fois en seulement 10 ans et dans des rôles plus différents les uns que les autres.
Le quatrième personnage sera donc Rupert Pupkin, un apprenti comique qui s’est inventé un univers bien isolé de la réalité en tant que talentueux showman, ce qu’il n’est évidemment pas le cas, mais ce qu’il rêve d’être.
Afin de concrétiser ce projet sur lequel il s’acharne, il va harceler l’homme qui pourrait rendre ça possible, Jerry Langford, la star d’une émission de télévision à succès.
Scorsese et De Niro voulaient à tout prix travailler de nouveau ensemble après Racing Bull. Si au départ Scorsese avait en tête d’adapter le roman La Dernière Tentation Du Christ de Nikos Kazantzakis avec son complice dans le rôle titre ( ce qu’il fera 5 ans plus tard avec Willem Dafoe), finalement c’est vers The King Of Comedy ( le titre original et celui qui a le plus de sens ) que les deux se tournent.
Un échec commercial et pourtant ?
Pourrait on dire que c’est un des films les plus sous-estimés du metteur en scène ? Oui !
Malgré son échec au box office, sa réputation s’est renforcée au fil du temps, et à raison !
Véritable satire sur le monde du show-business et des célébrités, le film démontre une certaine réalité sur le comportement des vedettes envers leurs admirateurs mais donne aussi tort à Rupert. Celui-ci se montre envahissant et adopte un comportement anormal malgré ses simples requêtes envers son idole.
Si Jerry Lewis est toujours sur un tempérament calme tout en prenant ses distances avec Rupert, De Niro est toujours sur la même note, un type dans son monde qui ne voit pas la vérité en face et ira très loin pour mener à bien son but ultime.
De quoi nous parle Scorsese ?
Le rapport vedette /fans est illustré dès la séquence d’ouverture du début lorsque Jerry Langford sort des studios et se fraye tant bien que mal un chemin jusqu'à sa voiture alors que la foule est dans une hystérie totale. Le générique du début débute sur un plan qui parle de lui-même.
Les mains de Masha ( Sandra Bernhard ) une connaissance de Rupert encore plus déluré que lui, collée contre la vitre de la voiture de Jerry, tandis que Rupert l’observe de l’extérieur.
À partir de là, on peut assez bien cerner le propos entier. Les éléments sont tous mis en place.
Un type qui se croit au-dessus de tout le monde dès lors qu’il aura eu une brève conversation avec Jerry, alors que ce dernier n’a pas la moindre considération pour lui. Le film ne cesse pourtant d’être honnête envers Rupert, Jerry lui accorde un créneau lors des premières minutes et ses collaborateurs le reçoivent poliment alors qu’il se montre intrusif et déterminé à transmettre son travail qui finit par être étudié avant qu’il ne reçoive un retour encourageant.
Si Scorsese nous montre bien que les célébrités ne donnent aucune chance à des novices du milieu,
Il nous explique surtout pourquoi ils prennent autant de distances avec eux.
C’est fait de façon caricaturale mais il y a bel et bien une part de vérité dans les rapports entre Rupert et Jerry. Devrait on dire que La valse des Pantins est un thriller caricatural assez amusant ? On peut interpréter ça de cette manière, oui, d’un côté nous avons le déroulement de l’intrigue qui place Rupert en harceleur qui se ment à lui-même, et de l’autre toujours notre personnage central enfermé dans son espace qui le sépare d’une réalité trop brusque pour lui. Tout cela est drôle, mais d’un autre côté c’est un beau drame.
Le film qui a inspiré Joker
Voilà en tout cas où Todd Philips a puisé son inspiration pour construire son film Joker, où Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) est dans le même idéal de vie, cette fois-ci rejeté par la société dans sa globalité et moqué par un présentateur phare nommé Murray Franklin joué par De Niro. En voilà une belle ironie ! Joker serait-il une suite insoupçonnée de La Valse Des Pantins ou Rupert Punpkin serait à son tour devenu un présentateur influent et moqueur ? Ou tout simplement un reflet du personnage de Pupkin qui, au fil des années, se serait converti en comique détestable dans une société noire. Une chose est certaine, La Valse Des Pantins influence, plaît, il est devenu notoire et très apprécié.
AFTER HOURS -QUEL NUIT DE GALERE ( 1985)
Dans le genre comédie dramatique assez unique chez Scorsese, After Hours ! Couronné du prix de la mise en scène au Festival de Cannes en 1986 (depuis le réalisateur est revenu sur la croisette pour Killers Of The Flower Moon), ainsi que de bonnes critiques dans l’ensemble, c’est devenu, comme beaucoup d’autres au fil du temps, un film culte.
Suivant les péripéties nocturnes du malheureux et timide informaticien Paul Hackett (Rick Dunne) qui, suite à sa rencontre avec une séduisante femme nommée Marcy (Rosanna Arquette), connaîtra une nuit sans fin.
Si on ressort convaincu et diverti de cette comédie qui paraît plus triste que drôle, ce n’est certainement pas ça qui en fera le meilleur Scorsese. On apprécie volontiers ce trip à travers les rues lugubres de New York, on soupçonne Scorsese d’avoir ingurgité quelques substances illicites lors du tournage de New York New York 8 ans plus tôt et d’avoir déversé ce surplus d’adrénaline dans ce film.
On ne peut s’empêcher d’avoir beaucoup de sympathie pour notre protagoniste victime d’une malchance inouïe alors qu’il voulait simplement venir en aide à la jeune Marcy qui l’a sollicitée après s’être disputé avec un ami. Scorsese à un chic pour les relations amoureuses (ou les relations hommes femmes tout court ) qui débouchent sur des échecs ou qui tournent mal.
Le couple formé par Robert De Niro et Kathy Moriarty dans Racing Bull est très fragile, moins cela dit que celui formé par De Niro à nouveau et Liza Minneli dans New York New York.
Et dans les réalisations qui suivront, les couples qu’il met en scène n’ont pas de meilleurs sorts.
Ici, il prend ça en dérision en se moquant presque de son personnage principal (il aurait demandé à Griffin Dunne de ne pas avoir de relations sexuelles durant le tournage, quelle ironie).
Il fait planer une certaine attirance entre Paul et Marcy (et une serveuse qu’il rencontrera plus tard dans la nuit).
Paul Hackett est sans aucun doute le personnage principal le plus simple et le moins physique de toute la filmographie de Scorsese et le seul auquel on pourra s’identifier. Un des seuls qui n’aura jamais recours à la moindre violence pour s’en sortir, et d’ailleurs After Hours n’est jamais violent et aucune arme à feu n’est visible tout du long, ce qui est très rare.
Le film se contente d’être une aventure pas commune pour un héros comme les autres, audacieux de la part de son auteur, généreux en idées, involontairement drôle. En globalité, un régal ! On redemande des faux drames comme celui-là.
LA CONSÉCRATION ( APRÈS LES AFFRANCHIS ET AVANT CASINO )
LE TEMPS DE L'INNOCENCE 1993
Ce temps est pourtant bien révolu pour le réalisateur, ici il choisit de faire passer toute la violence dans les mots, et dans les actes, et non dans les poings ou dans les vulgarités. Le Temps de l'innocence est une œuvre élégante et unique dans la filmographie de Martin Scorsese.
Adapté du roman d’Edith Wharton du même nom paru en 1920, nous voilà plongés dans le plus grand combat moral et sentimental de l’histoire du cinéma. Newland (Daniel Day Lewis) tiraillé entre son engagement pour May (Winona Ryder) et son attirance soudaine pour Ellen ( Michelle Pfeiffer ) dans une société où les règles sont strictes et où l’erreur n’est pas permise car il peut en découler des scandales nuisibles pour ceux qui sont concernés.
Voilà un metteur en scène qui tente de briser son propre mythe. Réputé pour ses films grossiers et sombres qui dépeignent des bandits immorales, voilà que ici les personnages s’y prennent en délicatesse mais se font inévitablement du mal. Si Alice n’est plus ici était un film hors du temps,
le temps de l’innocence est un film ancré dans le passé, et celui ou on se croirait le plus grâce aux décors ainsi qu’aux costumes sublimes qui nous immergent totalement en 1867 ( la costumière Gabriella Pescucci a d’ailleurs reçu l’oscar des meilleurs costumes en 1994 ).
La pellicule a un certain grain d’époque assez différent des précédents films de Scorsese et de ceux qui suivront.
On voit là une vraie volonté pour Scorsese de s’affranchir de ce qu’il a fait auparavant, lui qui avait fait Les Affranchis 3 ans auparavant, ainsi que de son casting fétiche. Pour l’une des rares fois, pas de De Niro ni de figure "Scorsesienne", mais il ne tardera pas à revenir à son genre de prédilection 2 ans plus tard avec le classieux et mémorable Casino.
Cependant, le Temps d'innocence a laissé une certaine trace dans l'œuvre de Scorsese, une œuvre bourgeoise qui n’a pas perdu de son charme (ce qui n’est pas le cas de tous les Scorsese) et qui possède une certaine beauté qui n’avait encore jamais été vue chez le réalisateur. On reconnaît une esthétique propre à Scorsese depuis ses débuts pratiquement, mais ici nous avons une photographie qui s’installe parfois entre les protagonistes (la fameuse scène où Daniel Day Lewis observe Michelle Pfeiffer au loin retournée face à l’océan ).
Une œuvre non originale mais son premier grand film à costumes qui lui fait à nouveau louper la statuette après La Dernière Tentation du Christ et Racing Bull, par ailleurs il venait de créer la fondation Martin Scorsese Présents, qui restaure et exploite les grands classiques du cinéma.
Et il est bien possible que Le Temps d'innocence est écopé de ce même statut au fil des années malgré qu’il se soit un peu fait oublié entre Les Affranchis et Casino (sans oublier les nerfs à vif ). Il n’en reste pas moins une œuvre cinématographique d’une grande richesse lexicale et artistique.
TROISIEME PARTIE DE CARRIERE ( APRES SA RENCONTRE AVEC LEONARDO DICAPRIO )
AVIATOR (2004)
La fin des années 1990 et le début des années 2000 est un tournant pour Martin Scorsese, il achève la décennie précédente en faisant tourner le grand Nicolas Cage dans A Tombeau Ouvert (la encore pas question de violence mais plutôt d’un ambulancier New Yorkais épuisé par son métier, hanté par les fantômes de la ville), et venait d’entamer la nouvelle décennie avec l'épique et dense Gangs Of New York qui signait sa première d’une future série de collaboration avec Leonardo DiCaprio.
Scorsese venait donc de trouver son troisième acteur fétiche pour la nouvelle génération, et le prochain film qu’ils feraient ensemble serait un important biopic sur une période phare à Hollywood, et sur un important et excentrique industriel américain.
Nouveau film sur un personnage historique
Aviator, ou le second film de Scorsese sur un personnage historique après l’autobiographique Racing Bull sur le boxeur Jake LaMotta, il se consacre ici à Howard Hughes ( Dicaprio ) un fou de l’aviation, il met cette passion à profit pour le cinéma avec des budgets exorbitants et tente de racheter certaines compagnies aériennes importantes, et en parallèle essaie de maintenir un équilibre mental ainsi que d’entretenir ses relations amoureuses. Mais dans un cas comme dans l’autre il est dépassé et se retrouve vite hors circuit.
Le film s’ouvre sur une séquence de tournage où Howard Hughes affiche un air dédaigneux et se montre exigeant envers son équipe. Ce dernier veut à tout prix voir les avions voler à une certaine vitesse, pour que l’illusion soit frappante à l’écran et ainsi surprendre la presse et le public, malheureusement il n’obtient pas satisfaction et méprise son propre travail lors de l’avant-première alors que le public l’acclame, à contrecœur, il se lève et salue sans fierté les nombreux applaudissements, et demande juste après que l’on modifie le montage sur le champ.
Ces premières 20 min démontrent toute la complexité de l’homme que représente Hughes et surtout sur quelle facette du personnage Scorsese et Dicaprio se concentrent ,un industriel jamais content ,qui exploite ses salariés sans scrupule et notamment son collaborateur dévoué Noah Dietrich
(John C Reily). Mais on constate qu’ils jonglent constamment entre l’homme d’affaires insupportable et l’homme de tous les jours. Le même homme pris de manières incontrôlables et souvent mal à l’aise avec autrui et condescendant avec les femmes, ce qui causera sa séparation avec Katharine Hepburn (Cate Blanchett) qui le quittera pour un homme plus mature et reposé que Howard. Et sa relation avec Ava Gardner (Kate Beskinsale) n’aura pas plus de chances, Howard s’affichant avec plusieurs conquêtes.
Un nouveau personnage complexe dans un nouveau film complexe
On retrouve ici un personnage fort au caractère compliqué qui échoue dans ses relations. Des relations qui, comme toujours chez le réalisateur, se compliquent puis se détériorent pour enfin se détruire, même si ses rapports avec Katharine Hepburn se ressoudent légèrement en dernière partie de film.
Aviator, ou l’un des films les plus complexes de Scorsese, qui devait à l’origine être réalisé par Michael Mann, qui finira producteur fatigué par la réalisation de deux biopics consécutifs.
Un film puissant et démesuré d’une certaine façon, presque policier par moments lorsqu’il s’agit de pointer du doigt les quelques scandales qui se terrent parmi les concurrents de Howard Hughes.
Mais Scorsese a toujours su jongler entre plusieurs genres avec une certaine maîtrise et ses associations avec Leonardo DiCaprio comme avec Robert De Niro sont bien la preuve qu’il peut les diriger avec toutes sortes de personnages à l’image de son cinéma, comme on pourra le constater avec Les Infiltrés qui sortira deux ans plus tard et Shutter Island qui signera une de ces uniques incursions dans le genre thriller/huit clos après A Tombeau Ouvert et Les Nerfs A Vif.
Aviator s’achève sur un gros plan de DiCaprio mal en point qui beugle dans le vide à répétition “ voila, il est là l’avenir", une métaphore un peu psychologique qui nous indique bien qu’il voit en l’acteur le potentiel pour la dernière partie de sa carrière.
LES FILMS QUI SUIVRONT
(DE SHUTTER ISLAND JUSQU'A KILLER OF THE FLOWER MOON)
Après quatre collaborations affilées avec l’acteur (on ajoute les Infiltrés et Shutter Island),
Scorsese fait le pari de faire un film pour un public plus “jeune “ qui parle de cinéma. Un splendide objet cinématographique qui devient Hugo Cabret, dont l’action se déroule à Paris, dans lequel le jeune héros joué par Asa Butterfield se lance dans une aventure aux travers des origines du cinéma en compagnie de Chloé Grace Moretz qui joue ici une novice du 7ème art. Un film empli de magie, avec un fort esprit familial, qui rend un hommage formidable à George Mélies et à la naissance du cinéma.
Juste après, il s’attaque au gourou de Wall Street, Jordan Belfort (incarné par Leonardo DiCaprio) dans le déjanté Le Loup de Wall Street. Entre débauche et magouilles, on tient là le Scorsese le plus excité et effréné de toute sa filmographie.
En 2016, nous le retrouvons avec un projet vieux de 18 ans qui aborde la religion catholique avec beaucoup de profondeur et de densité, Silence. Une généreuse production de 2 h 41 (car oui Scorsese adore faire des films très longs) qui avait déjà été portée sur grand écran en 1971 par Masahiro Shinoda. C’est le troisième film de Scorsese qui parle frontalement de religion après La Dernière Tentation Du Christ qui parlait des chrétiens et Kundun avec le Boudhisme, on peut donc considérer celui comme le dernier d’une trilogie sur la religion et la foi.
Silence est bien accueilli par la presse mais échoue en salles, cependant il est récompensé par l’Oscar de la meilleure photographie .
Et enfin en 2019, il réunit (et rejoue les Affranchis) à l’écran ses fidèles Robert De Niro, Harvey Keitel, accompagnés d'Al Pacino et Joe Pesci pour la fresque criminelle ultime The Irischman. Adapté du livre I Heard You Paint Houses: Frank ‘The Irishman’ Sheeran and the Inside Story of the Mafia, the Teamsters, and the Final Ride by Jimmy Hoffa de Charles Brandt, qui retrace la vie de Frank Sheeran. Les critiques sont unanimes et le succès rencontré par le film sur la plateforme Netflix est colossal, alors que Scorsese a un avis bien tranché quant à l’exploitation de films directement sur les plateformes.
Killers Of The Flower Moon est sorti en octobre 2023. Il s’agit de l'adaptation de l'ouvrage du même nom de David Grann, sorti en 2017. Il revient sur les meurtres des Indiens Osage et sur les enquêtes du FBI à ce sujet. En mai 2020, il est annoncé qu'Apple TV+ s’est imposé comme candidat pour produire et diffuser le film face à Netflix et MGM, finalement le film sera bien diffusé en salles en octobre 2023 après sa première sur la Croisette.
Un film remarquable, qui réunit Leonardo DiCaprio, Robert De Niro (pour leur sixième et dixième collaboration respective avec Scorsese). Les acteurs Lily Gladstone (nominée à l'oscar de la meilleure actrice), Jesse Plemons et Brendan Fraser complètent le casting de cette grande fresque criminelle qui reprend les plus grandes thématiques de Scorsese.
Vous l'avez compris, Martin Scorsese ce n'est pas que des films sur et dans la mafia, c'est aussi et en grande partie des long-métrages sur des personnages singuliers, instables, égarés qui tentent de s'en sortir malgré les obstacles qu'ils croisent sur leur chemin. Bien plus que du cinéma sur les gangs, on en retient aussi des scénarios complexes qui creusent la psychologie de leurs protagonistes, souvent en proie à des actes ou à des réflexions peu communes et approuvées. D'Harvey Keitel qui repousse sa petite amie dans Who's That Knocking At My Door pour des raisons détestables à Leonardo Dicaprio qui se découvre être le vrai malade de Shutter Island, en passant par Travis Bickle qui retrouve un sens à sa vie en croisant la route Iris une jeune prostituée jouée par Jodie Foster dans Taxi Driver .
Nous avons régulièrement fait connaissance avec des personnages en pleine quête de réponses et d'un sens à l'existence. C'est par d'ailleurs ce qui lie tous les films de Scorsese, ce sont des films froids, durs, démunis d'espoirs (où très peu) qui voient des individus se réfugier dans la violence et la drogue (ou le désespoir) avant qu'ils n'en subissent les conséquences et ne tombent très bas sans jamais réussir à se relever complètement. Voilà pourquoi Martin Scorsese ce n'est pas que des films de mafieux.
Voir la bande annonce de son dernier film Killers of The Flower Moon
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