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Lettre à David Lynch : Un cinéma désarticulé mais à couper le souffle

Photo du rédacteur: Thibault JeanroyThibault Jeanroy
David Lynch encore au début de sa carrière
David Lynch filme Eléphant Man

La planète cinéma est endeuillé, plus qu'un réalisateur, un véritable auteur de cinéma, un artisan du surréaliste et d'images indescriptibles, le maitre du bizarre nous as quitté. David Lynch, l'incroyable artiste derrière les remarquables Blue Velvet, Sailor et Lula, Mulholland Drive où encore Lost Highway et la série Twin Peaks, nous as quitté à l'âge de 78 ans.


Pour Lumière, c'est une perte considérable, majeure, un pan sacré du cinéma qui se retire dans les étoiles.

David Lynch c'était un univers fantastique et sidérant dont on comprenait pas forcément les images, mais elles nous apparaissaient malgré tout comme des pièces de cinéma uniques et sublimes.


Celui qui aimait perdre le public


La démarche de Lynch aura toujours été audacieuse, remarquable, mystique.

Longtemps elle aura suscité bien des questionnements, les mystères qui entourent l'œuvre de Lynch sont multiples, mais finalement c'est ce qui en fait son emblème et sa force.

Ne pas saisir sa filmographie, du moins ses travaux les plus complexes comme Eraserhead, Lost Highway et Mulholland Drive renforce notre passion pour le complexe.

David Lynch as rendu le cinéma plus exigeant, plus profond, plus intense sans intensions toutefois de le rendre inaccessible, juste plus beau, effrayant et surréaliste.


Naomi Watts et Laura Harring révélées dans le film le plus important et populaire de David Lynch, Mulholland Drive
Naomi Watts et Laura Harring dans le culte Mulholland Drive

Oui David Lynch aime susciter l'effroi chez son spectateur, autant que l'incompréhension.

Il éparpille ses intrigues et attend de ses spectateurs qu'il les assemble pour créer un ensemble "cohérent". Comprendre un film de Lynch, ce n'est pas seulement comprendre l'histoire ni le message, mais comment il a essayé de le construire et pourquoi de cette façon. Lynch a une expression de cinéma unique, parce qu'il agi comme un être unique qui façonne ses films de ses propres mains. C'est d'ailleurs au moment où il n'est plus maitre des choses que la magie noire de Lynch n'opère plus (enfin presque plus). Il est bien sûr question de son Dune commandé par Universal .


Kyle MacLachlan héros type de David Lynch, première incarnation de Paul Atreides
Kyle MacLachlan incarne Paul Atreides dans cette seconde tentative d'adaptation

Selon David Lynch, les studios lui ont mis des battons dans les roues en lui demandant de réduire considérablement la durée du film dont le premier montage était arrêté sur 3 h 30.

Lynch réduit d'abord son film à 3h avant de procéder à de nombreuses coupes . Le film fait finalement 2h20 . Dune bien que renié par son réalisateur lui-même, garde un esprit Lynchéen qui s'associe assez bien à celui de Frank Herbert. Mais les soucis de coupes en font une adaptation très handicapée. Des scènes capitales sont enlevées, des ajouts sont fait, rien ne s'enchaine et ne se comprend correctement.


Néanmoins on retrouve dans les rêves de Paul Atreides (incarné par son héros Kyle MacLachlan) et les plans épurées, la beauté et la fantaisie du réalisateur.


Avant l'incompréhension, le romantisme pure


Nicolas Cage et Laura Dern forment un couple iconique dans le film romantique et sulfureux de David Lynch, Saiilor et Lula
Nicolas Cage et Laura Dern portent cette euphorique et transcendante histoire d'amour de deux personnages en cavale dans Sailor et Lula

Qui a tout compris aux énigmatiques scénarios de David Lynch ?

Qui n'était pas crédule après Lost Highway et Mulholland Drive (qui sont très complémentaires pour beaucoup si on prend en compte les nombreux points communs qu'ils ont). Il est toutefois importer de retirer la beauté qui s'échappe de ses films, l'amour qui s'en dégage avant que l'énigme ne soit la signature de Lynch.


Le couple de Blue Velvet tout d'abord! Formé par ses deux acteurs fétiches Kyle MacLachlan et Laura Dern, cette dernière qui formera avec Nicolas Cage dans le film suivant Sailor et Lula une grande et sulfureuse histoire d'amour qui amène le cinéma de notre auteur à des sommets sophistiqués et charmants.

Puis il réitère avec Balthazar Getty et Patricia Arquette dans le deuxième segment de Lost Highway qui est un parfait condensé de son penchant pour l'amour véritable et le scénario désarticulé qu'il faut assembler comme un puzzle.


Blue Velvet film typiquement Lynchéeen qui réunis sa muse Laura Dern et son héros Kyle MacLachan
Les deux héros types de Lynch à l'écran pour Blue Velvet

Lynch, la sensibilité d'un auteur qui aime la complexité


Bien que l'amour et les images troublantes définissent le cinéma de David Lynch, il est primordial de ne pas passer outre sa vision de l'humain et de la cruauté.

Ainsi le déchirant Eléphant Man (produit par Mel Brooks et librement adapté des mémoires de Frederick Treves le medecin de Joseph Merrick) concerne directement le regard des autres, le jugement de la population envers un homme qui a évolué avec un visage déformé (incarné par John Hurt) .


Le plus émotionnel de Lynch avant d'être son plus hollywoodien (premier film de commande). Dénué de sa bizarrerie habituelle, mais on y retrouve l'obscurité qui dominera sur l'ensemble de ses films.

En parlant frontalement de la cruauté humaine, de la discrimination, et même de l'amitié (des thèmes qu'il n'a quasiment pas abordé) Lynch prouve très tôt qu'il n'est pas qu'un auteur radical concentré sur l'étrangeté (chose qu'il prouvera de nouveau avec Dune 4 ans plus tard en touchant à la Science-Fiction registre qui le laisse normalement indifférent).


En révélant John Hurt et Anthony Hopkins dans les personnages de "l'homme éléphant" et du médecin Frederick Treves, il fait valoir ses valeurs, et les choses de la vie qui le rendent mélancolique et il nous transmet sa tristesse.


John Hurt dans son rôle le plus saisissant et le plus déchirant, celui de John Merrick
John Hurt incarne le malformé John Merrick

Les routes chez Lynch…


En parlant de tristesse et d'humanité dans ce qu'il y a de plus authentique, un autre se fait généralement oublié, et cet autre est pourtant le plus souple et sobre des films de notre regretté auteur. Une Histoire Vraie . Le seul film dont le scénario n'est pas de la main de Lynch, mais de sa collaboratrice Mary Sweeney qui a endossé à merveille son rôle de productrice pour obtenir les droits.


C'est ainsi que le voyage du septuagénaire Alvin Straight qui parcours plusieurs centaines de kilomètres avec sa tondeuse à gazon pour aller retrouver son frère très affaibli, prend vie.

Et c'est une histoire tant émouvante qu'humaine dont la force repose principalement sur la performance de Richard Farnsworth qui incarne le vieux mais déterminé Straight.


Le seul film qui ne soit pas signé David Lynch, ce qui n'empêche pas l'émotion et la sincérité qui s'en dégage
Alvin Straight incarné par le regretté Richard Farnsworth

Une sorte de testament pour David Lynch qui signe une œuvre apaisante et selon lui "sa plus expérimentale" . Et puisqu'on reprend avec "les plans routes " après Lost Highway et Sailor et Lula, on peut dire qu'il y a une continuité logique, un lien évident dans tout ça.

Un lien qu'on retrouve directement à la fois dans le titre et dans les prémices de son film suivant Mulholland Drive.


Un opus ultime (hélas en décalage avec le reste)


David Lynch a conclu sa filmographie en 2006 avec le mal-aimé Inland Empire (tourné entre 2002 et 2006), qui a le lourd bémol de passer après Mulholland Drive . Cette histoire de femme en détresse (joué par sa muse Laura Dern) à Hollywood, victime d'hallucinations, résonne certes avec ses précédents travaux mais ne convainc pas pour autant.

Et c'est compréhensible !

Laura Dern absente du cinéma de Lynch depuis Sailor et Lula, revient pour son ultime film
Laura Dern dans l'ultime David Lynch

Inland Empire est le Lynch de trop, visuellement laid (sans aucun doute son film le plus désagréable à regarder), et scénaristiquement c'est bien lui, mais sous une forme très indigeste et labyrinthique. Un enchainement de scènes filmés en insupportables gros plans, qui ne se complètent plus au fur et à mesure.

Bien sûr on a toujours pris plaisir à se perdre dans ce cinéma là, mais dans ce cas précis, c'est malheureusement un échec.


Néanmoins, on reconnait au créateur de Twin Peaks l'intention de proposer une œuvre inédite (même si chacun de ses films est différent et ne ressemble à aucun autre), avec une mise en scène et un montage différent.

C'est malheureusement ce qui fait faute à ce dernier film limite écœurant.


Il ne fait qu'essayer de longer l'univers de Mulholland Drive (et d'ailleurs c'est une idée à peine dissimuler si on se penche sur les nombreuses similitudes entre les deux œuvres).

Mais ne parvient qu'à faire une sorte de suite/ épilogue mal-déguisé qui n'a ni la beauté ni l'écriture affiné de son prédécesseur.


La parole aux journalistes


Afin de faire un hommage aussi unique que général, Lumière a convié quelques confrères critiques pour recueillir des appréciations et des avis, où simplement quelques mots sur l'œuvre où le personnage hors du commun qu'était David Lynch .


Mehdi Omais créateur de contenu/ Critique pour We Love Cinéma à partir d'une vidéo Tik-Tok sur les films qui l'ont traumatisés. Il évoque son amour pour Mulholland Drive.


Vidéo épinglé ici après un échange avec le principal concerné


Cécile Guthlben Journaliste Cinéma Indépendante/et nouvelle rédactrice à Lumière à travers un texte magnifique.


Depuis la mort de David Lynch, le 15 janvier dernier, les journalistes du monde entier se sont replongés dans son œuvre si unique. Des analyses de ses films, vous en avez sans doute lues beaucoup. Alors moi, je ne vais pas me lancer là-dedans. Parce qu’entre David et moi, il y a plus que ça. 


Comme beaucoup de personnes de ma génération, je suis entrée en territoire Lynchien par la porte hollywoodienne de Mulholland Drive. J’avais 15 ans et j'ignorais tout de l’homme à la cigarette, à la mèche rebelle et à la voix nasillarde. Mais ses images se sont imprimées sur ma rétine. 

Quelques années plus tard, me voilà étudiante en cinéma. Et c’est là qu’on se rencontre vraiment lui et moi, ou plutôt, c’est là que je plonge vraiment dans son univers lorsque je décide de consacrer mon Mémoire de Master à sa série, Twin Peaks. Je ne l’ai alors vue qu’une fois, mais elle a bouleversé mon rapport aux séries, elle a bouleversé ma vie, j’en suis déjà certaine. Ma directrice de recherche est encore plus passionnée que moi. Elle a gardé les cassettes VHS sur lesquelles elle a enregistré tous les épisodes lors de leur première diffusion à la télévision française. 


“You’re about to enter a world both wonderful and strange” 


Durant une année, je regarde Twin Peaks, je pense Twin Peaks, je lis Twin Peaks, j’écris Twin Peaks. On est alors en 2008 et s’il existe, évidemment, de nombreux écrits sur la série, la ressource documentaire n’est pas aussi vaste. On est encore loin de l’Internet de 2025 (coucou ChatGPT). Alors c’est beaucoup moi, mon lecteur DVD, et mon petit cerveau dans mon 17m2. Je dissèque les épisodes, les scènes, plan par plan, encore et encore. Parfois, la montagne me semble trop haute à franchir, j’ai peur de ne pas y arriver. Je passe des heures à fixer le plafond en écoutant la BO d’Angelo Badalamenti. Mais je ne peux pas abandonner. Je me dis qu’un jour, peut-être, quand je serai journaliste, je rencontrerai David Lynch et je lui donnerai mon Mémoire. J’ai 22 ans, et des rêves plein la tête. 


Mais il n’y a pas que de David dont je rêve ! Régulièrement, le nain en costume rouge de la Red Room s’invite dans mes nuits pour une petite danse. Mes amis trouvent ça effrayant mais moi, ça me fait rire. Je suis entrée dans cette petite ville du Nord Ouest américain pour ne plus jamais en sortir. Le commissariat, le Great Northern, la Red Room, tous ces lieux deviennent ma safe place. 

Comme le Central Perk de Friends, ou l’appartement de Carrie Bradshaw dans Sex and The City, Twin Peaks devient un lieu refuge dans lequel je me sens bien et où je reviens sans cesse. Parfois juste pour un épisode ou une scène en particulier. 

Cooper, Truman, Andy, Donna et les autres deviennent mes amis. Je pense à l’un.e ou à l’autre suivant mon humeur. Je ris avec Lucy, je philosophe avec Hawk, je danse avec Audrey, je rêve avec Cooper. Et je grave dans ma peau le symbole du hibou. Ceux qui savent, savent.  


Alors depuis ce 15 janvier 2025, je me sens un peu orpheline. Je ne rencontrerai jamais David Lynch. Il n’y aura plus jamais de nouveau film ou de nouvelle série réalisée par David Lynch. Je me console en pensant à cette communauté extraordinaire de passionnés qui feront vivre son œuvre pour toujours. Je pense à Lucy et à Andy qui, sans doute, pleurent eux aussi, tendrement blottis dans les bras l’un de l’autre. 

Je suis allée revoir Une Histoire Vraie, un matin, en salle. Nous étions nombreux, ça m’a fait chaud au cœur. Et j’ai pleuré, beaucoup, j’ai imaginé David Lynch s’éloignant sur les routes américaines, assis avec Alvin Straight sur sa tondeuse. Clope au bec, cheveux aux vent, au son des notes d’Angelo Badalamenti. Ses amis l’attendent derrière le rideau en velours rouge. Jack Nance a fait du café, promis, cette fois, il n’y aura pas de poisson dans le percolateur. Catherine Coulson a préparé une tarte aux cerises. Frank Silva se cache derrière un fauteuil, prêt à bondir pour le prendre dans ses bras. David Bowie a composé un morceau pour l’occasion. Harry Dean Stanton est assis à côté de Miguel Ferrer. Ils ont hâte de retrouver leur ami. J’ai séché mes larmes et j’ai souri lorsque les lumières se sont rallumées. 


Merci Monsieur Lynch.  


Tom Belarbi -Jean rédacteur à Lumière


Je dois l’avouer, je n’ai jamais vu Twin Peaks, la série, malgré son caractère culte je n’ai encore jamais pu me lancer dans les 3 saisons que composent l’un des plus grands mystères de feu David Lynch.


Pourtant à l’annonce de sa mort, bien que mon film préféré du maître reste Mulholland Drive, pour moi l’un des plus gros chocs esthétiques de ma vie, ça n’était pas pour autant mon plus choc tout court provoqué par le monsieur.


Ce titre revient à Twin Peaks : Fire walk with me, ou les 7 derniers jours de Laura Palmer, réalisé en complément de la seconde saison comme un préquel aux événements de la série éponyme. Alors évidemment c’est clair que je me suis lancé dans ce film en quasi-connaissance de cause, pourtant là où on m’avait prévenu que je n’allais probablement, pour ne pas dire que je n’allais carrément rien comprendre, ça ne m’a pas empêcher d’être complètement happé et même, je pense, à jamais traumatisé par ce long-métrage.


Oui les mots sont forts mais les mots sont justes, et ils définissent ce que j’adorais chez David Lynch, mais aussi pourquoi son cinéma me fascine et passionne autant.

Je n’ai jamais aimé les expériences fades et Fire walk with me n’en n’est pas une, loin de là, c’est même un pur cauchemar qui du haut de mes 15 ans m’avais complètement retourné de part en part.


Et je pense que c’est en partie grâce au fait que je ne connaissais strictement rien à la série, et que je n’avais vu des films de David Lynch que récemment que ce banal spin-off est devenu un de mes films préférés, car justement c’est aussi les grandes parts d’incompréhensions qui ont fait la force de mon visionnage, ce sont les moments de doute, d’étrangeté incompréhensible, ces scènes qui arrivent sans prévenir te tordre l’âme avec un mélange de cruauté et d’humour.


C’est ça qui rend l’œuvre de Lynch si fascinante, le fait de déambuler dans un labyrinthe aux abords incompréhensibles mais duquel on distingue au bout, quoiqu’il en soit, des pistes de réflexion qui alimentent l’envie d’un second visionnage ; mais aussi et surtout, le sentiment d’horreur, de stress et d’étrangeté qui en découle.

N’ayant pas vu la série, je n’avais pas toutes les clés pour analyser ce que je voyais, mais s’agissant d’un (très) bon film, comme d’habitude chez Lynch, excellemment bien narré, mais j’ai quand même compris où le metteur en scène voulait m’emmener, sans en comprendre tous les tenants et aboutissants qui rendent justement Fire walk with me sinistrement abstrait et inquiétant, mais aussi, passionnant.


La peur de la mort n’aura jamais été aussi frappante, traumatisante même, et le choc, visuel d’abord, aura ensuite été sensitif tant ce long-métrage capte tout ce qui fait le sel de David Lynch, sa manière de tordre ses personnages et la réalité, jusque dans son travail sonore à couper le souffle. Enfin pour être honnête, je l’ai découvert sur mon téléphone portable, en vacances avec la lumière allumée et les voisins qui faisaient la fête dehors, les pires conditions d’immersion, n’ayant pourtant pas éraflé d’une seconde mon enthousiasme, terreur et passion pour Twin Peaks – Les 7 derniers jours de Laura Palmer


Pour clôturer cet article, nous vous proposons l'excellent documentaire d'Arte sur l'œuvre et l'homme qu'était et demeurera David Lynch . Du contenu absolument remarquable!













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