écrit par Tom Belarbi--Jean
Face à la grisaille quotidienne, une réalité de plus en plus dure et des débats politiques et sociaux toujours plus clivants, la comédie est le remède assuré pour oublier ses problèmes le temps d’une projection. Ça, c’est un peu la vision tantôt idéaliste tantôt cynique d’un genre bien souvent malmené par des productions françaises allant du banal et insignifiant au complètement indigent et gerbant, avec en prime quelques variations sur les stéréotypes préférés des français. Je ne vais pas les énumérer, les internautes locaux se sont déjà fait une joie de démonter de manière plus ou moins générale ce que certaines appellent une gangrène pourrissant l’industrie cinématographique hexagonale. Alors imaginez un peu le délire, un film qui arrive à la fois à être bon, je dirai même excellent, jubilatoire et fin, tout en parvenant à être un quasi commentaire de ce monde qui ne tourne plus rond. Un long-métrage dans lequel tous les trucs les plus emmerdants et enquiquinants sont réutilisés avec un ton à la fois satirique et anarchique apportant autant de bonne humeur qu’un constat pas vraiment resplendissant sur notre société actuelle. Car loin des productions télévisuelles sans âmes et autres égotripes de comiques populaire, la sphère de l’indépendant n’en démord toujours pas pour proposer des comédies qui se lâchent et qui arrachent, et Judith Davis en était plus ou moins un bon exemple avec son premier film, bien qu’avec Bonjour l’Asile, elle transforme royalement l’essai. Elle raconte donce les pérégrinations de plusieurs personnages plus ou moins aliénés par un idéal contemporain pourri de l’intérieur, convergeant tous plus ou moins vers un ancien asile, reconvertit en terrain d’entraide et de solidarité totalement bénévole. Sur cette base un peu quelconque, Bonjour l’Asile se délecte comme une formidable pièce montée plutôt maline mais aussi foutrement bien écrite ; même si je prévient les plus sensibles, le film est plutôt positionné à gauche.

Comme dit précédemment Bonjour l’Asile n’est pas le premier film de Judith Davis et surtout de la troupe L’Avantage du Doute comprenant aussi Mélanie Bestel, Claire Dumas, Nadir Legrand et Maxence Tual, encore présents devant la caméra mais aussi déjà dans Tout ce qu’il me reste de la révolution, le premier film de la réalisatrice/scénariste mais aussi actrice. Plutôt remarqué, le long-métrage avait suscité un vif intérêt des spectateurs assidus de l’époque, les talents de scène des acteurs se reflétant superbement sur un plateau, mais aussi pour la charge politique contemporaine que revendiquait le long-métrage. De mon côté j’avais été plutôt séduit par le premier point notamment dans l’humour, mais bien moins pas le second qui m’avait un peu laissé de marbre. La faute peut-être à sa sur-présence, à un point où l’engagement politique des personnes derrière grignotait l’intérêt artistique du projet. D’où mon excellente surprise face à ce second film qui balaye bien plus aisément cette limite afin de proposer une œuvre plus aboutie, gérant bien mieux son discours autant dans les dialogues entre les personnages que d’un point de vue narratif. Je vais même ne pas y aller par 4 chemins, Bonjour l’Asile est une pépite d’humour, un film complètement jubilatoire, jamais à côté, arrivant à mettre en exergue une fatigue sociale évidente et surtout un talent pour l’écriture qui me scie les jambes. Quitte à me faire incendier par la communauté cinéphile, je dis ce que j’ai à dire, je pense même en voyant ce film que la dame est en bonne voie pour être une digne héritière à un Michel Audiard. Au-delà de la comparaison facile, plus que pour la qualité des dialogues, c’est leur répercussion, leur phrasé et leur dimension à la fois absurde, provocante, décalée et très écrite qui m’y a fait penser, pas aussi sans rappeler le cœur de L’Avantage du Doute, soit, le théâtre. En tout cas cette part de l’écriture fait mouche, les punchlines, dialogues de sourd, comique de répétition ou tout simplement formules plus ou moins alambiquées et résolument inattendues, s’enchaînent avec une grande maîtrise sans pour autant perdre de vue la prémisse du film ; celle d’exacerber et de dialoguer autour du clivage social et politique actuel.

Judith Davis réalise une vraie satire, qui déploie son propos dans un humour mordant, reposant certes sur l’aisance totale des comédiens et la qualité de ces dialogues géniaux, mais qui prend toute sont importance quand au fond du long-métrage. Comme dit plus haut Judith Davis et même l’Avantage du Doute en général ne font pas dans la dentelle, leur engagement politique est clair, voir assumé, mais cela ne les empêche pas pour autant de tirer sur tout le monde, et c’est un peu de là que vient l’aspect profondément grisant de Bonjour l’Asile, c’est que dans ce beau monde, personne n’est épargné. Si le regard de la réalisatrice sur les résidents de l’asile est assez bienveillant, même utilisé comme contre-pied face aux autres personnages encore aliénés par leur routine, dont on montre à la fois la grande vacuité mais aussi fragilité. Le « french dream » de Monsieur tout le monde supplément décarbonatation écoconsciente est même montré comme tout autant toxique pour ne pas dire invivable que l’atmosphère parisienne suffocante que les personnages ont fui, bien plus frontale, mais moins insidieuse. Car Bonjour l’Asile se concentre merveilleusement sur ses personnages, notamment dans leurs dialogues, afin de faire ressortir leur propre hypocrisie mais aussi, par la même occasion, mal-être. L’asile devient un idéal de vie par son aspect solidaire, son attention portée aux autres et leur bien-être, en dehors de tout intérêt, rendant d’autant plus décalé et délicieusement loufoque ceux continuant de se conformer. La réalisatrice assume son propos politique mais en fait même un vrai motif narratif et esthétique, et la bizarrerie des résidents de l’asile devient un réel défouloir contre la grisaille quotidienne, d’une manière presque salvatrice. Au-delà de développer un propos plus intelligent qu’un « fuck capitalism », la provocation de Bonjour l’Asile se retrouve dans sa manière à détourner les codes du cinéma social, vus et revus, mais rarement agencés et développés avec une telle aisance et surtout jouissance. Car il est peu dire que le conte enchanté se noircit petit à petit, la réalisatrice ne reste pas tant dans sa bulle idéaliste, qu’elle montre un combat inégal entre deux mondes incompatibles et de plus en plus forcés à se confronter ; nommant tous deux l’autre de « fou ». Pour Judith Davis, les fous sont plutôt facilement discernables et permettent de faire ressortir toute un humour caricatural, dans le sens où la metteuse en scène vient exacerber la fausseté et hypocrisie des personnages dans le but de développer son propos et cet esprit carrément satirique. Il est peu dire que le long métrage s’enlise néanmoins dans plusieurs attendus et propose mine de rien une résolution morale un peu convenue, mais il fait preuve d’une cohérence que je préfère souligner tout en évitant à bien des égards un manichéisme grossier, pour au contraire, une maîtrise dans la jubilation délectable tant ces personnages délicieusement croqués évoluent dans un univers déjanté, parfaitement à la mesure de leur propre absurdité qu’on pensait jusque-là normale, mais qui se révèle toxique et contre-productive.

Bien que cela soit la principale qualité de Judith Davis, son Bonjour l’Asile ne se repose pas uniquement sur ses dialogues, et d’une manière assez subtile, elle prouve aussi être une très bonne metteuse en scène. Pourtant, à première vu, rien de nouveau sous le soleil de ce côté là, surtout par rapport aux comédies françaises populaire que le film tendait jusque-là à distancer ; photographie un peu banale, mise en scène techniquement simpliste et film visuellement quelconque, sans grande esbroufe. Au-delà d’aborder la qualité de la composition, il y a pourtant une excellente idée qui renforce même l’authenticité du film, et elle a à voir avec la simplicité de la mise en scène, qui en réalité, est bien plus brute que simpliste. Il y a presque une spontanéité qui ressort de la caméra, comme une captation de théâtre pour garder le lien avec L’Avantage du doute, mais qui se rapproche ici bien plus du documentaire, avec une caméra principalement à l’épaule, qui fait d’autant plus son effet lors des scènes de discussion, tant elle est vivante. Le film refuse de planter platement l’action et de se contenter de champs-contrechamps, c’est au contraire la caméra qui réagit et s’adapte à ces scènes, ce qui apporte une authenticité géniale à plusieurs passages, comme cet apéritif ouvrant plus ou moins merveilleusement les hostilités. On sent en tout cas qu’il n’y a pas un grand budget, mais le film le camoufle, ou plutôt se sert du peu de moyens pour proposer autre chose, sans pour autant l’afficher et le surligner, mais la mise en scène de Bonjour l’Asile arrive à capter le plus gans intérêt du film, soit les personnages. Comme dit plus haut c’est un vrai film social, faisant dialoguer des personnes plus que des personnages, caricaturés plus ou moins à l’extrême mais reflétant une réalité pourrie, rendue authentique par le biais de cette mise en scène, car elle croit en la velléité de ce qu’elle filme, elle la rend réelle.

Évidemment le film ne se résume pas qu’à ça, et même s’il n’y a jamais de sophistication dans la mise en scène, la réalisatrice parvient constamment à maintenir sa barque entre simplicité et authenticité, rendant son film tout simplement limpide et efficace. Ce n’est pour autant pas seulement ça qui caractérise la mise en scène du long-métrage, ce dernier étant bardé d’idées et de fantaisies qui gardent quand même une vraie continuité avec le reste de l’esthétique du film. Une scène de « bad trip » notamment, avec le personnage de Maxence Tual, qui dure et qui dure, mais qui fait ressortir par ses idées visuelles, de photo comme de concepts, l’humour absurde du long-métrage. On retrouve presque un esprit similaire aux films de Dupieux dans ces instants, bien que Judith Davis se concentre avant tout sur le réalisme de son film, autant dans le fond que la forme. L’absurdité se transforme donc très vite en décalage, tant l’authenticité qu’a entretenu le long-métrage finit par imploser au gré de chaque péripétie, mais surtout, des actions des personnages. Un décalage déjà entretenu par la musique du film, composée par François Ernie, cherchant dans ses notes une fantaisie ou au moins une singularité se distançant tant que faire se peu desdites comédies banales que Bonjour l’Asile se refuse d’être. De sa mise en scène mêlant réalisme et fantaisie jusqu’à la profondeur de ses dialogues loin d’en rester à un simple exutoire social, Bonjour l’Asile garde le même cap, la même énergie afin de proposer une comédie authentique et sans langue de bois, ne réfrénant pas le plaisir simple du visionnage pour quand même faire part d’un propos politique réfléchit et génialement introduit ; car dialoguant lui aussi avec l’esthétique du film, plutôt que le grignotant.
Bonjour l’Asile n’est pas qu’une comédie hilarante ou même politiquement bien investi, c’est surtout un film qui respire l’authenticité de chaque situation, qui joue avec une sensation de réel pour aborder des sujets de société contemporain avec, cependant, une maîtrise de la satire et de la caricature qui permet à ce second film d’être un des plus jubilatoire vu récemment, du jeu d’acteur aux dialogues, tout est frais et délicieusement féroce.
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