écrit par Tom Belarbi--Jean
Jusque-là cantonné aux petites productions horrifiques traversant plus ou moins mal la frontière Américaine, Oz Perkins (de son vrai prénom, Osgood) a pourtant surpris tout le monde en 2024 avec la présentation, puis sortie de son jusqu’alors dernier film en date : Longlegs. Thriller horrifique plus que clivant, le quatrième long-métrage du réalisateur avait en tout cas fait sensation par ses concepts visuels cryptiques et énigmatiques, rendant curieux et impatients des spectateurs pris de courts, de même que le reste de l’industrie qui a vu plafonner ce film indépendant à un box-office de plus de 126 millions de dollars. Pour un budget de 9 millions, Oz Perkins semble clairement devenir une future poule aux œufs d’or, autant pour ceux ayant acquis ses films, que pour le cinéma d’horreur américain, qui depuis quelques années commence à sérieusement tourner à vide. Entre la déliquescence tragi-comique des dernières productions minables made in Blumhouse, les séries B voire Z tout juste passables enfin à leur place sur des plateformes de SVOD et plusieurs autres déceptions du côté indé, il est clair que le champ est libre. L’annonce du prochain film d’Oz n’a pas su tarder, bien avant la sortie de son Longlegs, et pourtant loin de vouloir reproduire l’atmosphère étrange et vaporeuse de ses précédents films, proche du mouvement des « elevated horror », le ton de The Monkey se trouve à l’opposé total : du burlesque, du fun, du gore bien prononcé et un concept fonction propice à une quantité non négligeables de situations bien sanglantes.

Là où Longlegs a voulu jouer le plus possible sur la surprise et le mystère, quitte à largement décevoir, il est clair que The Monkey joue dans la cour opposée, car ceux ayant déjà apposés leurs yeux sur la bande-annonce ou même l’affiche et sa tag line mortelle savent que ce nouveau long sera bien moins sérieux et largement plus second degré que son prédécesseur. Appelons un chat un chat, The Moneky est une comédie horrifique pure et dure, qui ne provoque pas tant des frissons, qu’un torrent d’hémoglobine là pour ravir les plus sadiques et dégoûter les plus sensibles ; bien que l’approche constamment ironique apporte une atmosphère digne d’un vrai spectacle grand guignol, où on se plaît de rire du malheur des autres, quand ce n’est pas pour le réclamer. Et on peut directement s’en référer au plot de l’intrigue, se concentrant sur deux jumeaux découvrant un mystérieux jouet singe légué par leur père, sorte d’artefact des enfers provoquant un accident mortel, gratuitement et sans sommation, contre une personne plus ou moins proche de celui qui actionne le mécanisme (à l’exception de ce dernier). S’en suivront des mises à mort plus ou moins méchantes et inventives, après l’introduction du concept et des règles qu’il met en place ; ce, après justement une longue exposition d’au moins une bonne demi-heure sur la caractérisation de ce duo (mal sous tous-rapports) comme du Singe éponyme. Sur 1h38 de film, c’est long, et surtout trop machinal, le film semblant constamment rouler sur des rails fais d’attendus et d’enjeux plus ou moins pétés tant le réalisateur peine à offrir une caractéristique réellement profonde et intéressante au long terme. Si celle de Bill est plutôt sympathique, tantôt dans le portrait d’un gamin constamment martyrisé et rabaissé puis d’adulte encore en mal de vivre avec ses traumatismes d’enfance, mais aussi blasé par la violence quotidienne du singe, il n’en n’est pas autant pour Hal ; qui est juste du début à la fin un dark sasuke sans grande profondeur, cherchant une vengeance artificielle et proche du ridicule. En fait si le film cherche constamment l’outrance, il se fourvoie parfois un peu trop dans l’ampoulage tant le récit est globalement sur-gonflé de personnages plus ou moins fonctions servant plus ou moins à rien mais freinant à de nombreux moments le rythme de l’intrigue au profit de leur pourtant faible caractérision (et à ce niveau la palme revient à Elijah Wood dont la présence fait plus office de triste caméo). Admettons que le long-métrage pousse le burlesque jusque dans cette idée, il en reste que The Monkey peine à simplement rendre synthétique et parfaitement plaisante son intrigue, trop simpliste en somme, retardant autant que possible une confrontation finale entre les jumeaux qui perd un brin de saveur tant elle n’évolue pas malgré la montée en puissance et la multiplication des événements gores.

Là où c’était déjà un problème dans Longlegs, ici, The Monkey amplifie cette tare relative aux œuvre d’Oz Perkins vu le traitement plus simpliste et léger de son nouveau long-métrage, rendant plus à vif ce défaut. Bien que le film soit extrêmement divertissant, je ressors un peu avec le sentiment d’un potentiel à moitié gâché, tant le concept manque au final de substance dans la longueur ; car contrairement au récent film de Coralie Fargeat, The Monkey ne fait finalement pas grand-chose de son concept et des règles y incombant, autant dans la dramaturgie des personnages que le scénario pur et dur ; et surtout cet objet maléfique qu’on pourrait finalement très bien remplacer par un tronc d’arbre amateur de maracas sans que cela n’impacte quoique ce soit, et à ce niveau, le résultat rend cet artefact un peu quelconque. En revanche, il est peu dire qu’au même titre que sur son nombre de personnages, The Monkey est généreux, trop certes, mais cette dernière est bien plus forte et géniale quand il s’agit de faire éclater en mille morceaux la chaire à canon qui sert au film de personnages, qui dans cette logique, réussissent tous au moins très bien leur décès. Parce qu’à ce niveau le film ne fait pas que proposer une belle ingéniosité dans la méchanceté des meurtres, les rendant tous uniques, galvanisants et surtout ludiques. Un peu comme dans un Destination Finale, Oz Perkins présente chacun de ses décors et ce qui peut merder pour accentuer la surprise mais aussi l’attente jubilatoire de voir l’inévitable survenir, que ce soit avec une brièveté étonnante, qu’au contraire une élaboration qui fait durer ce vilain plaisir ; le réalisateur tronque la consistance de ses personnages par celle de ses mises à mort et de tout ce qui les entoure. The Monkey offre au final un vrai plaisir sadique à voir le film étirer et détailler la violence de ses meurtres dans la joie et la bonne humeur, apportant un réel sentiment de jubilation qui arrive à maquiller plus ou moins efficacement les béances narratives.

On peut donc le dire, le film assume son passif de série B, pas là pour enfiler des perles ou présenter un propos construit et intéressant, mais bien plus un spectacle amoral où on ri et applaudit bien volontiers les mises à mort que présente le long-métrage. Bien que je reste plus que dubitatif sur les efforts d’écriture (et potentiellement d’adaptation) orchestrés par Oz Perkins, il en reste malgré tout que ce n’est pas tant ça qui ressort de son nouveau long-métrage, autant dans le ton choisit que l’appréciation globale que j’ai malgré tout pour The Monkey. Difficile pour moi d’être en effet insensible au film, réel exutoire fun et débridé, assumant pleinement son caractère de série B cracra sans chercher plus loin que le bout de son nez. C’est d’une certaine manière un peu la limite du film, d’autant qu’il n’a peut-être pas l’impolitesse et subversion espérée, en restant moralement assez sage, bien que sa morale prenne le partit pris de tout miser sur une quasi anarchie de la violence. Ça décapite, ça piétine, ça embroche et j’en passe et des meilleurs, The Monkey arrive à être jouissif et surtout mordant dans la démonstration de ses méfaits qui prennent toujours une trajectoire très burlesque allant dédramatiser la boucherie pourtant en cours. Cela rend peut-être justement le film assez froid, tant le décalage entre le niveau de violence et les actions des personnages peuvent sembler distantes, mais il en résulte en bout de course une comédie jouissive. D’ailleurs c’est peut-être là une belle trouvaille du film, de faire de ses personnages quasi monolithiques de l’enfer en cour, une source d’humour, tellement dépassés par la situation que ce qui sort de leur bouche paraît totalement mordant ; et la voix off, elle plus à froid, embrasse pourtant cette neutralité pour en revanche sortir de belles dingueries qui font systématiquement mouche. On ne tremble pas devant The Monkey, au mieux on est quand même assez dégoûté par certains passages (d’ailleurs big up à tous les apiphobes qui passeraient par là, bonne chance), mais le film arrive à proposer de vrais moments d’extase, voire de l’épique dans sa violence. La mise en scène épouse constamment la direction ludique que prennent chaque meurtre ; sans pour autant appuyer ses fusils de Tchekhov ou ressasser la formule du suspens à chaque scène, le réalisateur joue constamment avec les possibilités de son décor pour offrir des mises à mort par étapes ou au contraire très brutales.

Il n’y a pas de jumpscares dans le film, mais une vraie place laissée à la surprise, le long-métrage parvenant presque constamment à au moins sur un détail, prendre de court le spectateur sur la brutalité quasi cartoonesque de certains passages, qui donne une vraie fraîcheur et singularité à chaque mort. Le film arrive quoiqu’il en soit à redoubler d’efforts et d’inventivité pour parvenir à ses fins, dans une logique de second degré qui dans le cas des fameux fusils de Tchekhov, viennent (ironiquement) intelligemment remplacer l’adresse du réalisateur pour son talent dans la dérision ; tronquant constamment un banal cliché narratif en réel dispositif humoristique, étant donné que ce n’est pas tant la surprise en elle-même qui prend de court mais son envergure finale. Le film en devient dès lors assez rafraîchissant, étant donné qu’il arrive à faire du neuf avec du vieux, lui-même hérité de Stephen King, tant l’atmosphère quasi rétro du film pullule dans chaque décor de The Monkey, chose que l’écrivain a su appliquer comme une réelle marque de fabrique. La fameuse petite bourgade américaine tranquille face à une menace démoniaque, sauf que cette fois, il n’est pas tant question de faire la parabole d’une société américaine caricaturale que de l’abattre dans la joie et la bonne humeur. Car en réalité la plus grande idée d’écriture de The Monkey c’est bien de faire de la mort une fête, comme un parfait héritier à Beetlejuice (le personnage de Tatiana Maslany est même un pur personnage Burtonnien), le décès, et même le diable sont loufoques, et les situations comme personnages incarnent tous l’absurdité des situations. D’ailleurs si la mise en scène est moins léchée que sur Longlegs, bien que proposant une plastique tout de même assez élaborée, chaque choix de focale, chaque détail d’un décor, ou de composition servent cette fois à mettre en scène le gore et la méchanceté délirante du singe démoniaque. Au final bien loin de toute décence morale, Oz Perkins assume de rire de la mort et du malheur des autres, pour mieux en ressortir tout l’amusement et le grand guignol de son concept histoire d’une fois de plus faire imploser (littéralement) un idéal américain jusque-là bien barbant ; donc heureusement que tout le monde meurt, même si ça fait chier.
The Monkey foire allègrement tout son aspect psychologique, sa dramaturgie est autant forcée que bancale, manquant d’appuis solides pour totalement se déployer sur la durée, en revanche pour ceux venus chercher ce que le film est venu vendre, soit un déferlement de violence gratuite, parfaitement gérée et développée, alors vous aurez la comédie horrifique dont vous aviez besoin pour égayer vos soirées sans la moindre sobriété. Une proposition simple et efficace, à l’opposé total de Longlegs mais prouvant mine de rien la réelle versatilité dans l’horreur de son metteur en scène, à suivre de désormais très près.
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