L'Etrange Festival 2025: Du sang fluo, des chats du futur, des toilettes bouchées,... que retenir de cette 31e édition ?
- Tom Belarbi
- 20 sept.
- 11 min de lecture
L’Etrange Festival s’est conclut récemment dans une 31e édition diffusant toujours des pépites de cinéma indé perchés et indescriptibles, peinant à sortir officiellement sur nos contrées, mais visible, souvent uniquement lors cet événement incontournable. Comme chaque année, son lot de déception et de surprises, de films géniaux sur lesquels on voulait écrire et dont on va parler en bref pour vous donner un aperçu de cette édition particulièrement solide, dans l’ordre du pire au meilleur.
13e - Jimmy and Stiggs de Joe Begos

Et si le jeu vidéo Doom rencontrait l’émission de Valérie Damido D&CO ? Le retour de Joe Begos, artisan ultime du cinéma bis contemporain américain avait de quoi allécher : annonçant un huis-clos sous stéroïdes où un groupe de deux anciens amis se retrouvent enfermés face à une invasion alien dans leur baraque. Pour faire face à la menace, ils vont user d’alcools, drogues et de violence pour rester en vie de la menace… quitte à en devenir une pour eux même. Ce résumé n’est pas tant celui de l’amorce que de l’entièreté du projet, se voulant être un défouloir fait main, où la violence gore se mue à un scénario de timbre post pour délivrer une dose d’images psychés et de saillies de violence sans limites. Le, problème c’est que le cinéaste (et aussi ici acteur), n’arrive pas à proposer autre chose qu’un énorme bazar bruyant et vulgaire, dans le sens où à part remuer sa caméra partout, proposer des explosions de peinture fluo (qu’on appelle ici du sang), et des fuck toutes les 2 lignes de dialogue, on finit vite par tourner en rond ; malgré un prologue et épilogue en pov, foutrement plus intenses et jouissives que le reste de ces 1h20 qui paraissent en faire le double. Impossible de ne pas avoir de l’affection pour ce projet fait avec cœur et surtout énormément de foi de la part de son réalisateur, totalement indépendant, mais la sauce ne prend pas, elle agace même. Parce qu’entre les effets pratiques pas convaincants et l’insupportable frénésie du long-métrage, ne prenant jamais le temps de se poser, le résultat finit par largement frustrer. A voir pour ce que ça représente et certaines trouvailles, mais le tout laisse sacrément dubitatif, surtout pour son cinéaste, qui après VFW et Bliss, commence à sérieusement tourner en rond.
Sortie exceptionnelle le 20 et 21 septembre
12e - Welcome home baby d'Andreas Prochaska

En terme d’agacement, ce film germano-autrachien aurait pu égaler Jimmy & Stiggs si ce dernier ne démarrait pas aussi bien. Passé une amorce tendue, magnifiquement mise en scène, où des enjeux simples et efficaces se mettent en place, le réalisateur décide de se compliquer la vie et patauge littéralement dans son récit sans savoir où aller. Sans divulguer la direction que prend Welcome Home Baby, toute la mythologie développée et le thème des liens du sang en découlant est incroyablement poussive, tant elle cherche surtout à justifier tout et n’importe quoi, et avec l’impolitesse de constamment retarder la moindre avancée scénaristique. Quasiment 2 heures qui auraient pu être divisées par deux, et qui plombe dans l’aile toute envolée dramaturgique dans une errance scénaristique frustrante, et dont la résolution donne un arrière-goût rance d’inachevé. Le rythme et ton du film, cherchent à singer l’elevated horror mais font face à une abondance d’effets de style et de montage qui parasitent totalement la cohérence stylistique de ce long-métrage d’une lourdeur pachydermique, qui anesthésie toute tension et suspens. Heureusement, la mise en scène pure reste de qualité, et l’interprète principale donne beaucoup, mais ces belles images ne sauvent pas entièrement le résultat du brouillon, malgré quelques belles sueurs froides.
11e - Memory Hotel d'Heinrich Sabl

Quelle tristesse de voir un projet aussi personnel et acharné, ayant nécessité 25 années de travail, donner lieu à un résultat aussi désordonné. Passé un premier quart bien tenu, malgré des effets d’écriture un peu trop décalés (comme la présentation de chaque personnage à la manière d’un jeu de Kojima), le film s’enlise dans une sorte de schéma, où la même péripétie se répète encore et encore jusqu’à totalement faire décrocher du récit. Impossible d’expliquer autrement le bordel qui s’installe qu’en donnant l’impression que le film a subitement été écrit et réalisé par un malade en phase terminale d’Alzeimer, répétant ad nauseam, avec toute la bonne volonté du monde, des motifs d’écriture et de mise en scène qui finissent par plus écoeurer qu’autre chose. Le réalisateur détourner la beauté de son animation, de ses marionnettes, pour un propos confus et un résultat globalement très théorique, ne prenant jamais le temps de prendre par la main le spectateur, tout en allant dans tous les sens sans réellement avancer. Cela paraît paradoxal ? C’était sûrement voulu, dans les faits, le sentiment de raté reste tant on finit par totalement se désintéresser des personnages de cet hôtel, à la croisé des politiques et des strates sociales, mais qui n’ont en fin de compte pas plus à dire que le 3/4 des films sur la seconde guerre mondiale et ses conséquences.
10e - Tamala 2030: a punk cat in dark de t.o.L

Toujours dans l’animation, peut-être que le visionnage de cette suite au premier Tamala aurait été plus appréciable en connaissance de cause : que j’allais assister à un véritable foutoir. Bordélique est sûrement le mot qui caractérise pour le pire, mais aussi le meilleur ce film de t.o.L, mais si son imprévisibilité constante et ses concepts visuels et narratifs intriguent, ils n’arrivent pas à dépasser une narration trop étirée et chaotique. La direction artistique, énorme hommage aux productions d’Osamu Tezuka, est sans nulle doute exceptionnelle, mais n’arrive pas à entièrement porter une intrigue semblant maladroitement cacher 4 épisodes d’une séries remontés, avec toutes les répétitions que cela amène. Derrière ses visuels de film noir psychédéliques, le rythme en dent de scie handicap beaucoup un projet tellement dense qu’il finit par s’emmêler les pinceaux.
9e - Bulk de Ben Weathley

Vous connaissez peut-être Ben Wheatley, entre ses productions indépendantes comme son classique Kill List, Touristes ou Free Fire, avec Bulk, il revient à ses racines art et essai et très loin de ses épisodes hollywoodien dont un remake de Rebecca ou la suite d’En eaux troubles. Entre la blague, le travail d’orfèvre et le labyrinthe mental, le cinéaste anglais propose un véritable OFNI improbable, où la dimension sérieuse de l’intrigue est quasi systématiquement parasitée par le caractère cheap de la production ainsi que divers effets de styles, fx et dialogues, cassant totalement le premier degré de l’ensemble. Difficile de savoir à quel point ce projet peut être sérieux, cynique ou sincère, mais la formule, aussi agaçante que stimulante, finit par être véritablement jouissive, comme un bric à brac joueur et imprévisible, qui finit par dépasser son intrigue invraisemblable et compliquée pour rien. En bout de course, des concepts marquants, un savoir-faire respectable et un projet sincière, jusqu’à ses dernières images, où l’on dévoile presque la supercherie : dans un brisage du quatrième mur qui ne peut que donner le sourire aux lèvres.
C’est la parodie d’Inception qui aurait croisé Neil Breen (s’il avait du talent) pour résumer.
8e - Hold the fort de William Bagley

Une comédie-horrifique bis comme on en fait plus : un concept, un huis-clos, des blagues plus ou moins débiles et graveleuses, des personnages plus ou moins stéréotypés, des codes et clichés moqués et du sentimentalisme presque touchant, Hold the fort n’est pas grand-chose, mais un bon moment correctement ficelé et imaginé. N’attendez rien de moins qu’un film pop corn décérébré, mais tirant sur moins d’1h15 une intrigue simplissime où le sang coule à flot avec des coups de théâtre jouissifs. Rien d’exceptionnel, le résultat est même foutrement convenu, mais la bonne humeur générale finit par être contagieuse, pour qui saura être joueur, et accepter des ficelles néanmoins assez grossières, d’un projet cherchant surtout à proposer un moment sympathique, dans une ambiance rétro et décalée avec sorcières, loups-garous et compagnie.
7e - Dead Lover de Grace Glowicki

Il faut imaginer Bertrand Mandico faire du Abel Gance et ça donne Dead Lover : une lettre d’amour aux racines du cinéma, avec son esthétique colorée, ses décors en toc et des performances grotesques. Tout tient ici autant de l’absurde que du malaise au vu de l’histoire qui y est racontée: celle d’une fossoyeuse solitaire, cherchant à ramener l’homme de sa vie d’entre les morts, et qui va amener une tonne de situations toutes plus barges que malsaines, dans un esprit camp et cartoon, donnant l’impression de voir un croisement étrange entre Le laboratoire de Dexter et Pink Flamingo. Si sur 1h30, le film accuse de sérieuses baisses de régime et en laissera sans le moindre doute plusieurs sur le bas côté, la folie du projet reste néanmoins terriblement grisante, ne semblant jamais rien se refuser, tout en donnant à voir, surtout dans le montage, un véritable boulot d’artisan.
6e - Vade Retro d'Antonin Peretjako

Dans le genre projet clivant, Antonin Peretjako, connu pour La loi de la jungle ou La fille du 14 juillet revient et frappe fort avec ce qu’on pourrait résumer en une série Z d’auteur pour le moins… radicale. Vade Retro est un spectacle de grand guignol frappadingue, complètement foutraque, où les effets de style les plus grossiers côtoient un humour pince-sans-rire de nature à faire hurler de rire certains et à consterner les autres. Pourtant, derrière cet entre-deux un peu foutraque, et il faut le dire, du mauvais goût assumé, mais parfois un peu lourd, le cinéaste décale vite vers une surenchère gore et absurde complètement délirante, hommage aux splatter les plus sanglants et les films de monstre les moins crédibles, dans un entrain bon enfant, artistiquement suicidaire, mais tellement outré et outrancier qu’on finit par presque en redemander. Puis il faut noter le casting au poil, dont Esteban et son ton monocorde s’accordant parfaitement à cet univers barjo à souhait.
Sortie le 31 Décembre
5e - Je suis Franckelda d'Arturo et Roy Ambriz

Arturo et Roy Ambriz sont pour l’instant des noms inconnus, mais les cerveaux à l’origine de ce monstrueux film d’animation en stop-motion pourrait à terme devenir une figure de proue de ce genre, bien qu’ils soient déjà les petits protégés de Guillermo del Toro (rien que ça). Je suis Frankelda est un L’Etrange Noël de Mister Jack où le monde d’Halloween est remplacé par celui des cauchemars, et le passage entre le monde réel et fantasmé, se fait au travers de la fiction, de ce que l’écriture représente pour ses auteurs et les personnages dépeints. Une ligne directrice moins limpide qui force le film à prendre un temps considérable pour amorcer le gros de son scénario, mais qui permet aussi au duo de frères de proposer un très très grand spectacle. Un niveau d’ambition et d’aisance technique, qui aura tout de même mis 10 ans à voir le jour, et qui aboutit dans une œuvre certes boursouflée, mais pour laquelle on a envie de tout pardonner tant l’imagination des cinéastes et la grandeur du spectacle sont à couper le souffle. Du très grand cinéma d’animation, un film de monstres et d’aventure unique en son genre, mais déterrant les lettres de noblesse de plusieurs classiques du genre, où toutes les générations devraient y trouver leur compte.
A noter là aussi un générique qui devrait devenir la madeleine de proust de tous les animateurs en puissance, avec un mini making off révélant certains trucages visuels et l’immensité de plusieurs décors ; et de l’ambition générale du projet.
4e - Forbidden City de Gabriel Mainetti

Après On L’appelle Jeeg Robot et surtout Freaks Out, le cinéaste Italien Gabriele Mainetti est de retour, et frappe un grand coup avec ce film d’action flamboyant, complètement dingue, possédant les scènes de combat parmi les plus folles de ces dernières années. Si le réalisateur ne maîtrise toujours pas l’épure et livre une œuvre beaucoup trop longue, qui finit par bien trop tirer en longueur, son ambition formelle remarquable rappelle qu’il est l’un des dernier représentant contemporain d’un cinéma Italien populaire cherchant à se démarquer et même concurrencer ses homologues Hollywoodien. Malgré moins de moyens, le résultat est sans appel, The Forbidden City éclate presque tout sur son passage, grâce à une mise en scène tout bonnement miraculeuse qui ne cache jamais un amour du réalisateur pour ses personnages, qu’il choie et développe avec une rigueur remarquable ; quitte à parfois tomber dans du mélo bien serré. Si le film n’est pas sans défaut et aurait mérité d’être moins caricatural sur plusieurs aspects, il démontre le niveau de débrouille de son réalisateur, navigant entre inspiration comic book, film d’art martial et saga romanesque. Un mini blockbuster ne cherchant cependant pas à lisser son récit ou ses personnages, mais à dorénavant, définitivement créer une marquer d’auteur qui pue l’amour du cinéma.
3e - Lesbian Space Princess d'Emma Hough Hobbs et Leela Varghese

Parmi les bizarreries et autres séances WTF du festival, Lesbian Space Princess (ce titre !!!) était attendu et a répondu à quasi tous ses engagements : un récit initiatique queer pour adultes, où univers absurde, girly et grand guignol s’accouplent parfaitement avec un humour ultra référencé, corrosif et profondément cathartique. Sans le moindre doute une des séance les plus jouissive de L’Étrange, où on enchaîne les pics aussi violentes qu’iconoclastes sur les relations toxiques, le masculinisme, l’acceptation de soi ou Abdellatif Kéchiche. En plus d’être un défouloir exceptionnel, Emma Hough Hobbs et Leela Varghese livrent une aventure sans temps mort et généreuse, malgré de gros attendus d’écriture, qui contrastent cependant avec des partis pris de fond plus surprenants, comme dans sa conclusion, bien moins lisse et moralisatrice qu’elle pourrait laisser croire. L’animation pourrait en gêner plus d’un, mais ce côté « home-made », très proche de productions indé d’Internet, dans un univers à la Rick & Morty, incarne parfaitement le projet : du détournement, de la parodie, de la culture populaire et beaucoup d’ironie bien placée.
2e - Flush de Grégory Morin

Une des grosse sensation de cette 31e édition, et on l’espère, des futurs festivals qui l’accueilleront (voir nos salles) c’est bien ce Flush, nouvelle aventure cinématographique du français Grégory Morin, racontant l’incongrue histoire de Luc, junkie en puissance, qui après un fâcheux malentendu, va se retrouver la tête coincée… dans des toilettes turc ! Flush c’est 1h10 en huis-clos dans ces toilettes, et là où plusieurs réalisateurs jouent souvent avec les règles qu’ils s’imposent pour autoriser des sorties de pistes, des coups d’oeil aux alentours de l’action, ici que neni, du début à la fin, la caméra reste coincée avec le personnage. On ne va pas tout vous révéler, mais sachez qu’on est loin du simple « escape game » un peu cruel et ingénieux à la Oxygène, Flush est plutôt une farce trash complètement imprévisible jouant avec la suspension d’incrédulité du spectateur, et qui va loin, très TRÈS loin. Et le mieux, c’est qu’en dépit de plusieurs scènes plus « dramatiques » moins bien amenées et peut-être trop en décalage du tout, le long-métrage se révèle être hilarant en tout point, ne laissant jamais une seconde de répit à son spectateur, en partie grâce à l’immense talent de Jonathan Lambert qui porte légitimement le film sur ses épaules. On pourra dire de même de la caméra du cinéaste, qui offre une mise en scène très travaillée, ludique et formellement impeccable, ces toilettes miteuses proposant aux spectateurs plus de couleurs que n’importe quelle production Netflix actuelle.
Bref un très beau coup de cœur pour tout amateur de bisserie qui se respecte, génialement emballé et développé, d’autant que le tout dure à peine 1h10, sans le moindre gras, sans aucune scène en trop ou qui ralentirait le rythme, définitivement, le nom de Grégory Morin va être à suivre de très près !
1er - Fucktoys d'Annapurna Sriram

On décerne notre plus gros coup de coeur de cette nouvelle édition de L’Etrange à Fucktoys d’Annapurna Sriram, qu’on pourrait résumer en disant que cette comédie dramatique/road trip érotique américain est un Anora réalisé par Anora herself. Prenez une photo 16mm resplendissante, des comédiennes (dont la réalisatrice joue elle-même le premier rôle) exceptionnelles, un regard cruel et poétique sur les laissées pour compte de l’Amérique profonde, une intrigue aussi intime qu’extravagante, et vous avez une grosse surprise, émotionnellement ravageur et moralement bien impertinent. Le génie de la réalisatrice est de casser avec un naturel déroutant le réalisme de son film par du merveilleux, des rencontres étranges et des événements plus ou moins rationnels ramenés à une malédiction que la protagoniste cherche à endiguer. On ne vous dira pas où ça ira, mais le voyage ne laisse pas indifférent, ou propre sur soi, et c’est pour le mieux tant l’esprit libertaire, camp et doux-amer de ce projet respire la singularité de sa cinéaste, pour laquelle on ne peut qu’espérer le meilleur (et qui par son charme ravageur, a déjà conquis l’ensemble des spectateurs du forum des Images).
Dommage que les cassures de rythme soient parfois aussi nettes, entre le rollercoaster émotionnel et des discussions posées de 5 minutes en plan fixe, mais à part cette fragilité de montage (et des sous-titre français google trad qu’on espère réécrits par un professionnel), Fucktoys pourrait être un des petit grand film de 2026






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