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Agnès Ha - Sorry, Baby

  • Tom Belarbi
  • 23 juil.
  • 8 min de lecture

écrit par Tom Belarbi--Jean


L’excitation d’un festival comme Cannes est souvent mue par deux choses, la projection de films extrêmement attendus et qu’on espère anthologiques, et la recherche de petites pépites, dont le manque de visibilité n’influe souvent que trop peu sur sa qualité. En tant que jeune festivalier, on a l’énergie de faire des journées de 20 heures où TOUT doit être prétexte au cinéma, à la découverte de ce qui fera peut-être, ou non, le futur du 7e art. Avec un planning de séances s’étalant bien souvent de 8h30 du matin à 00h et des brouettes, et une centaine de films tous plus variés les uns que les autres au programme, il est clair que le choix est vaste, bien que souvent moins propice qu’espéré à la découverte d’une perle rare, et c’est justement sa rareté qui rend sa découverte si forte, d’autant quand elle est inattendue. Un synopsis bateau, un premier film d’une réalisatrice inconnue au bataillon, une affiche un peu lambda et une description de la quinzaine itself plutôt quelconque, rien de bien excitant, mais c’est ce désir de boucher tous les trous qui m’aura fait me rendre à la séance de clôture de la quinzaine des cinéastes. Et c’est là qu’arrive le miracle, quand on s’y attend le moins, quand un film qu’on croyait voir venir à l’avance te met en réalité un immense coup de boule là où ça fait mal, te tire les larmes avec une facilité déconcertante, tout en te faisant éclater de rire la seconde d’après, bref, une œuvre qui vient te parler de A à Z, et finir bien haut dans mon top de l’année alors qu’à la base, je la calculais à peine du regard. La fameuse perle rare de Cannes se situera pour moi en tout cas vers ce Sorry, Baby, premier film de la désormais à suivre de très près Eva Victor, incarnant le rôle principale de cette tragicomédie au texte acéré, qui derrière son apparat réaliste et indé, trouve dans les arcanes du Cinéma, la manière de toucher au sublime.

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Quelque chose est arrivé à Agnès, c’est ce qu’on comprend petit à petit, alors que l’on découvre l’histoire de la protagoniste, qui après un long prologue joyeux, fait de punchlines acérées et de complicité avec son amie Lydie (interprétée par Naomie Ackie, la nympho de Mickey 17 (entre autre)), jusqu’à un second chapitre, où toute la légèreté du film retombe immédiatement, sans qu’on en comprenne immédiatement la raison. L’intelligence du film, est de laisser petit à petit les langues se délier, au fil des 5 chapitres du long-métrage, afin de faire rentrer le thème central du film, mais aussi son ampleur intime, à quel point un traumatisme touche les liens sociaux des personnages, tout en les mettant face à leur propre psyché, sans parfois, qu’on s’en rende compte à l’œil nu. Aucune victimisation ou tract politique, Eva Victor se concentre quasi exclusivement sur le versant intime au fil des 5 ans durant lesquels se déroule le film. En plus de faire preuve d’audace dans sa temporalité, la réalisatrice, en plus d’étaler son histoire, décide de l’inclure dans un récit non-chronologique, où chaque chapitre est un moment de vie, une parenthèse comme un moment fort et formateur de la vie du personnage auquel on apporte la même importance, autant dans le drame, que la comédie, centré sur les rencontres et expériences d’Agnès face à ce trauma qui la ronge. Le film peut être un peu dur à suivre au tout début, n’affichant pas directement sa narration radicale, ce qui m’a personnellement un peu déboussolé lors du premier tiers, mais très vite, le talent d’écriture de la metteuse en scène l’emporte, comme son traitement finalement très malin et puissant du traumatisme, sur le long terme, apportant un angle original et particulièrement pertinent pour aborder un tel sujet. Sujet essoré par le cinéma, qu’on pourrait très vite classer dans la case « moraline », mais qui a rarement été aussi bien filmé que dans Sorry, Baby, où chaque cliché et piège du genre sont évités les uns après les autres, avec une maestria désarmante de simplicité, en gardant constamment dans sa ligne de mire, la personnalité détaché d’Agnès, qui voit « le monder avancer sans elle ». Le nom des chapitres est déjà un indice de cela, on passe nonchalament de « the year of the good sandwich » à « the year of the bad thing », des noms teintés d’ironie, mais surtout de détachement face à la gravité ou non de ces noms, qui n’a dès lors plus d’importance dans le film, puisqu’il leur donne la même influence. Dans la droite lignée de l’idée de se concentrer sur l’héroïne, on ne filmera et montrera jamais l’incarnation de son choc émotionnel, l’acte, l’auteur ou autre, certains événements du film rappelleront cet instant, qu’on a pourtant jamais vu, mais qui prennent à la jugulaire comme si on vivait d’un seul coup, un souvenir pesant qu’on essaye d’enterrer six pieds sous terre ; malgré qu’il soit intime, Sorry, Baby n’est jamais voyeuriste, le film reste aux bottes de sa protagoniste et construit son récit, son montage et son ton de son point de vue, sans apporter ni sur-explication, ni didactisme. En atteste la phrase d’une collègue d’Agnès, qui pour « gravir les échelons » a dû se confronter à l’auteur de son malheur, un plan fixe, très court, viendra illustrer la scène, et plutôt que de s’y attarder, en pointant du doigt les personnages, Eva Victor, continue de coller aux basques de sa protagoniste ; si on comprend cette fois, bien plus explicitement les tenants et aboutissants de ce traumatisme, ce qu’il procure reste lui implicite, est issu du hors-champ et du travail du montage. Résulte donc pour moi un geste cinématographiquement fort, et esthétiquement payant, notamment dans sa narration, la réalisatrice expliquant par ailleurs à l’issue de la séance ne pas vouloir commencer son film par la douleur afin de créer de l’empathie envers ses personnages : les voir dans un décor chaleureux, dans une séquence festive, avant de basculer vers l’horreur, mais aussi, en se permettant des allers-retours, pour non pas mettre en scène le cheminement physique vers une réparation sentimentale, mais son cheminement mental. Ainsi, la metteuse en scène rappelle, sans le moindre effet autre que celui du montage et la narration, comment un traumatisme peut être refoulé, comment l’anxiété peut être cachée par un bon moment, et à quel point l’amitié, thème central de Sorry, Baby, est un vecteur d’aide dans cette période suffocante, d’autant qu’on comprend que cette séquence d’introduction survient en réalité longtemps après le réel point de départ du film. Un geste fort, bien plus efficace dans la construction de sa protagoniste, et qui vient tirer les larmes avec un grand naturel, quand le spectateur prend compte de l’ampleur de ce qu’il a vu, qui n’est pourtant rien d’autre que l’aperçu d’une psyché universelle.

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Il y a pourtant un autre grand facteur apportant à Sorry, Baby une singularité particulièrement osée, mais carrément au niveau du reste, et c’est l’humour. Le long-métrage est une vraie comédie dramatique, qui laisse ces deux genres cohabiter, coexister, et plus largement se développer en parfaite symbiose, sans que l’un empiète l’autre ou vice-versa ; mieux encore, ils se complètent. En comparaison, une des critique faite (à mon sens à raison) au MCU sur l’utilisation abusive de l’humour, est qu’elle vient renier toute émotion, voire enjeu, on se contente de voir des personnages limite désabusés, en constant second degré face à tous les événements qui leur passe devant, ce qui intrinsèquement pour le spectateur, nous met dans une situation de confort particulièrement superficiel. Or ici, l’humour du film, en plus d’être souvent incisif ou au contraire, plus délicat, vient apporter un souffle humain aux personnages, et en particulier au scénario, qui plutôt que de montrer une simple mise en lumière du refoulement d’un traumatisme, met en scène la vie dudit individu, en toute circonstance face à ce dernier. On comprend plus ou moins vite les tenants et aboutissants de fond du film, mais sa manière de procéder m’a étonné à chaque fois, alors que pourtant, elle se situe dans une constante justesse de ton et de rythme, qui donne l’impression sincère de voir des gens bien, parfois maladroits ou façonneurs, mais qui font face à la situation du mieux qu’ils peuvent. Par ce biais, le long-métrage fait le portrait d’une société encore bégayante face à un sujet qu’il paraît tabou de dire à voix haute, mais loin de simplement dénoncer, le film garde une empathie certaine envers chacun de ses personnages filmé (raison sûrement pour laquelle, « l’antagoniste » si on peut l’appeler ainsi, n’est pas présent) et cherche en même temps que sa protagoniste, de l’espoir. Les personnages secondaires rayonnent en ce sens, et au-delà de permettre à Agnès de panser ses blessures, ils incarnent eux aussi des maux contemporains, qui se transforment aussi en enjeux. Globalement, plus que de juste faire du bien au travers d’un ton « feel-good », Sorry, Baby cherche bien plus précisément à soigner ses personnages, dont on n’outrepasse jamais les drames et enjeux. La scène devant le lac gelé, du 1er chapitre, est à mon sens une des très belles réussite du long-métrage, mettant en avant la vision de la maternité, ou plus tard, celle de la sexualité, auxquels sont confrontés les générations actuelles, avec comme point d’orgue, ce traumatisme, dont le domptage, finit par atténuer toutes ces névroses modernes. Malgré tout, il est clair qu’Eva Victor fait part d’ironie, de dérision et d’un esprit souvent particulièrement mordant, notamment dans les dialogues qui englobent le second chapitre, où des professionnels répètent avec une naïveté/connerie confondante des discours pré-mâchés que le personnage remet en question par son total détachement. Si le film peut sembler attachant dans certaines séquences, notamment toutes celles incluant le chat d’Agnès, on sent dans son jeu et sa nonchalance, un contre-pieds avec les autres personnages qui n’est pas sans rappeler Fleabag (et Phoebe Waller-Bridge de manière générale), et qui dans ses instants les plus intimes, finit presque par donner le sentiment que le personnage peut lui aussi communiquer avec le spectateur, cependant ici, sans le moindre brisage de 4e mur. Disons-le, Eva Victor est une actrice « à gueule », son physique, sa diction et sa vision artistique est singulière, et elle en tire pleinement profit dans sa performance, et le regard qu’elle appose à son personnage par la caméra, toujours empathique, mais avec un mélange de sournoiserie et de tendresse ; on la sent autant éloignée des autres par son attitude que proche par son humanité, que le long-métrage embrasse pleinement. Le résultat est que le personnage paraît immensément crédible, que chaque action sonne vrai, chaque crise d’angoisse finit par broyer le coeur, chaque moment d’insolence par l’hilarité communicative du public, et en somme, par faire passer du rire aux larmes, dans un torrent d’humanité authentique et sans autre artifice qu’une écriture juste, et un casting phénoménal. Le casting est selon moi même l’immense réussite du film, car arrivant à capter sans fausse note, le texte, fait de ruptures et de véritables pentes glissantes, et tout ça marche surement aussi grâce à la mise en scène, simple, épurée, véritablement « réaliste », offrant un cadre intime. Pourtant loin de toute naturalisme, le montage, narratif, comme des scènes, mettent le spectateur dans la tête d’Agnès, et à fors-suri, permettent de ressentir, de vivre avec authenticité, ses démons et son combat inconscient pour les dépasser.

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Anodin sur le papier, Sorry, Baby n’est rien de tout ça, c’est un humble ouragan, une bourrasque émotionnelle qui vient discrètement pénétrer le spectateur pour le faire rentrer dans l’intimité de son personnage, et lui faire vivre le même grand huit émotionnel. Entre les drames existentiels et les rencontres plus ou moins loufoques, Eva Victor dépeint avec une simplicité sidérante la digestion au long terme de souffrances passées dans un long cheminement vers la rédemption qui passe par des étapes aussi corrosives que bouleversantes. En plus de traiter avec singularité sa narration, le fond de ce premier long-métrage détonne par sa lucidité, qui loin de vouloir donner des leçons à qui que ce soit, jouit d’une simplicité d’exécution déconcertant, sans artifice, juste avec les grandes bases du cinéma, desquels ce film incarne pourtant, de véritables lettres de noblesse.



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