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KNEECAP - Hip-Hop, Beuh et Gaélique

  • Tom Belarbi
  • 18 juin
  • 6 min de lecture

écrit par Tom Belarbi--Jean


Le monde du biopic musical est souvent la voie toute tracée vers un terrain balisé, d’un point de vue esthétique comme scénaristique, les films du genre ne cessent de prendre les mêmes points d’ancrages, allant de la création du groupe (ou au moins les origines d’un chanteur) à leurs premières péripéties musicales avant que se dresse un adversaire (politique de préférence) qui les amènera à changer ou s’affirmer entre deux chansons bien connue des spectateurs, interprétées par un acteur qu’on sent préoccupé par l’obtention d’un oscar. Toute comparaison avec un biopic récent interprété par Timothé Chalamet est fortuite, mais si certaines œuvres ont réussit cette année, comme le Maria de Pablo Larrain, à déjouer les codes et attentes du genre, il est aussi particulièrement appréciable de voir une œuvre « faire dans les vieux pots les meilleures confitures ». Au-delà de son identité purement irlandaise, le metteur en scène, Rich Peppiatt, ne réinvente pas la roue en s’attaquant au mythique et révolutionnaire groupe gaélique, mais la révolution se situe plutôt du côté du traitement de ses thématiques ainsi que d’une énergie et inventivité visuelle constante, au point de monter le curseur du fun et de l’adrénaline à un niveau jouissif qui mérite votre intérêt.


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Dès l’entame, on sent que Kneecap reste un projet malgré tout encore un peu à part dans le monde du biopic musical, pour son contexte ultra contemporain, se plaçant durant la seconde moitié des années 2010, lors d’un contexte politique particulièrement virulent en Irlande, visant à rétablir la souveraineté britannique, prétextant la paix, là où le peuple gaélique réclame l’indépendance, alors que sa langue celte perd progressivement de sa valeur Historique et populaire. Un conflit politique et social, illustré par des images de violence que le film, et à for-suri, le groupe, va très vite se réapproprier pour mettre en exergue dans ses textes la montée en puissance de la colère du peuple Irlandais, avec virulence et véhémence, dans la plus pure intention de provoquer et choquer petits bourgeois, moralistes et « occupant » anglais ; geste qu’on pourrait incarner par un gracieux doigt d’honneur. Et là où c’est plus que réussit dans le film, c’est qu’il est exactement ça, un pur défouloir jouissif et complètement taré, mais qui derrière son esprit bourrin recèle un propos bien plus malin qu’escompté, à l’importance Historique non négligeable. C’est pourtant ce qui me préoccupait pas mal lors du premier quart-d’heure du film, de voir une véritable descente d’acides qui ne s’interrompe jamais, et qui dans ses effets de style, sa bougeotte incessante et son trop-plein d’énergie un peu factice, me faisait penser au pire (du déjà pire) du cinéma de Guy Ritchie, qui confond à plein temps bruit visuel et mise en scène. Même si je trouve que le film se régule convenablement par la suite, le réalisateur a au moins le bon goût de ne pas mentir au spectateur sur le bordel qu’il s’apprête à voir : montage effréné et parfois à la limite du chaotique (en atteste deux scènes de course-poursuite inaugurales cependant bien chanmés), effets visuels sur-signifiants (comme ces dessins à la manière d’un Leto ou cette voix-off brisant à bien des égards le quatrième mur) mais venant donner un style au film, et dans cette logique, une envie irrépressible de faire du cinéma jeune, un film vivant, animé d’une fougue et rage palpable à l’écran, dès ces scènes de fête en tout début de métrage. Si le film peut sembler tomber dans la même ringardise que chez l’autre metteur en scène britannique, il retombe vite sur ses pattes en calmant ses fulgurances et l’envie d’en découdre autant avec le spectateur que le régime britannique, dont l’ouverture tient plus que jamais à nous les rendre à minima détestable. Clairement le film ne sera pas dans la demi-mesure et ne cherche pas tant que ça la subtilité, jusque dans son fond, plus ou moins asséné par le personnage de Michael Fassbender, révolutionnaire dans l’âme, ayant abandonné ses obligations paternelles pour sa noble cause, reprise en musique par son fils. Même dans l’intimité, Kneecap cherche le style et une efficacité directe, reliant constamment le tout à ses personnages, son groupe, et la musique les unissant, les amenant autant à se détacher de leur quotidien au mieux morose, au pire complètement bordélique, qu’à assumer et incarner leurs idéaux révolutionnaires, et surtout, hors des cases établies.


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Si elle peut paraître éreintante voire un peu artificielle en premier lieu, l’immense énergie du métrage reste sa plus grande force, s’accordant parfaitement à la musique sous ectasy du groupe, qu’on se prend à chantonner et s’investir beaucoup trop dans les scènes de concert, ou même de création musicale ; le film réussit à immerger constamment dans la tête de ses personnages, et l’hardeur qui ressort de chaque morceau, parfaitement inséré. Plus qu’un énergie, c’est une fièvre qui envenime le métrage, dans une constante poussée d’adrénaline qui met une gifle monumentale au 3/4 des biopics du genre, tant l’investissement du spectateur en devient démultipliée ; le visionnage se transformant en pur kiff à mesure que l’on dompte le rythme premièrement étouffant de l’œuvre, pour au final profiter à fond de l’énergie effrénée dont fait preuve Rich Peppiatt, comme dans une mythique soirée en boîte de nuit. Si le réalisateur conserve malgré tout plusieurs passages obligés du biopic, le film garde deux atouts qui minimise grandement ces attendus, au profit, encore une fois, du plaisir dingue ressortant du long-métrage. Tout d’abord la manière qu’a le film de constamment raser le point de vue du groupe, notamment lorsqu’on sent les personnages sous stupéfiants, et qui renforce la folie de la mise en scène, allant dans tous les sens, se révélant particulièrement sophistiquée et inventive, diffusant parfaitement la folie du métrage. Le film enchaîne les plans et scènes les plus déglingos les uns après les autres, met en exergue chaque morceau musical, chaque scène d’action, chaque moment burlesque, jusqu’aux pastiches du film de gangster, avec une authenticité gargarisé par le casting, composé notamment des vrais membres du groupe, et qui est incarné à la perfection ; tout en sachant ralentir dans ses instants plus dramatiques et intimes qu’on sent sincères. Puis il y a l’aspect plus « didactique », tout le rapport du film à l’Histoire Irlandaise, et les combats sociaux en découlant aujourd’hui, en racontant ces conflits et en s’y attardant suffisamment pour que le contexte soit claire et omniprésent, mais pas non plus rentré au chausse-pied. Le long-métrage reste particulièrement franc du collier, en atteste le personnage de Michael Fassbender, dont le discours « extrémiste » traduit en revanche parfaitement le positionnement politique du film, et son propos sur la nécessité d’indépendance de l’Irlande. Au-delà d’être, de nouveau, plus que franc du collier, le film rase le groupe non pas que sur la forme mais aussi sur le fond, en assumant une « idéologie » radicale dans leur rapport au gouvernement britannique mais aussi, curieusement, dans la manière de mettre en scène des actes plus répréhensibles : la prise de stupéfiants, la vulgarité, la délinquance, tout ce qui peut rejoindre une forme de voyoucratie, n’est jamais jugé par le cinéaste, et mise au même niveau que la composition des morceaux du groupe : comme un acte de révolte et de débrouille. Tout sert à montrer la passion de ces gens pour la musique, une forme de révolte intérieur, de doigt d’honneur à l’ordre établi, et donc, en parfait union avec le thème du film, en se débarrassant des clichés et de la bonne morale, jusqu’à reprendre une esthétique proche d’un Requiem for a dream, pour complètement détourner le message de l’œuvre d’Aronofsky. Si tout ça peut paraître immature, je trouve cela au contraire particulièrement couillu et salvateur de ne pas filmer avec dédain et dénigration le monde de la drogue et de la fête, mais comme une continuité logique, et tout aussi fendard et déjanté, de l’histoire de ce groupe venu péter des genoux aux moralisateurs.




Une surprise de taille, bien que venue avec moult commentaires dithyrambiques, mais qui vient remuer le monde du biopic musical avec une verve bien à elle et surtout, un niveau de maîtrise technique complètement jouissive. Un moment de fou rire et de kiff inéniable enrobé d’un propos sur la révolte et l’Histoire de l’Irlande qui brise une immaturité présumée pour un esprit de fête et de rébellion, le tout dans le pur esprit contestataire du groupe, dont le jeu névrosé et passionné vient sublimer le tout : un régal !

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