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FIFIB JOUR 4: Militantisme écologique, exorcisme en Algérie, lutte en père et fille et le retour de Claire Denis

  • Tom Belarbi
  • 11 oct.
  • 6 min de lecture
Le Cri des Gardes de Claire Denis est au programme du FIFIB 2025

Le Cri des Gardes de Claire Denis est au programme du FIFIB 2025


Le festival bat son plein et le centre-ville de Bordeaux continue de ressembler à une immense fête continue, avec en son sein une fourmilière de visages que les habitués et professionnels reconnaissent jour après jour, et année après année. C’est ainsi toujours un bonheur de retrouver l’attachée de presse locale et d’UFO distribution que je salue à ce sujet !


UN DOCUMENTAIRE SUR L'ECOLOGIE POUR COMMENCER


La journée commence dès le matin avec une avant-première coup de cœur, cette fois-ci au rayon documentaire avec le nouveau film de Laurie Lassalle : Forêt Rouge. Immersion au sein des mouvements écologiques entourant la préservation de ce qui devait être un aéroport, la cinéaste réussit à ne pas tomber dans un piège béant, dans lequel plusieurs de ses confrères et consœurs ont déjà plongé tête la première (dont Thomas Lacoste sur le futur Soulèvements) : un bête tract militant dénué de cinéma.


Si la réalisatrice prend clairement partit et joue presque la carte du manichéisme (on garde le point de vue des occupants et chaque raid de police les déshumanise, on ne s’intéresse jamais au fond de leurs interventions), elle réussit à accoucher d’un témoignage filmique vital dans le fond comme la forme.


Si le propos est plus qu’important, montrant les ressorts d’une mobilisation politique contemporaine, ce dernier n’est jamais un pur prétexte à filmer. Forêt Rouge est étonnement sensoriel, c’est un film immergeant en toute simplicité, et avec pureté, dans ce cadre naturel, militant, festif et créatif, se permettant de sortir du pur besoin de raconter, pour aussi montrer le quotidien chaleureux des personnes occupant cette ZAD.

La réalisatrice se permet aussi de mettre en avant leurs créations artistiques, comme lors d’un long plan fixe où elle filme (et écoute) une improvisation au piano, jusqu’à carrément faire intervenir dans le champ, pendant un raid de police, un violon jouant sur l’instant.


Pour Laurie Lassalle, l’intérêt de ce groupe ne réside pas que dans leur militantisme, et apporte au spectateur un voyage dans leur univers, jouant en plus avec le montage pour créer une véritable évolution dramaturgique : passant de la construction, à la destruction avant d’arriver à une possible reconstruction.


Même si le film tire un peu trop en longueur, il est d’une pureté exemplaire, et devrait intéresser les amateurs de cinéma documentaire, autant que les citoyens cherchant à découvrir leur cause, et les répressions de l’état..


Laurie Lassalle : Forêt Rouge

Forêt Rouge de Laurie Lassale


UN FILM CLIVANT SUR LA DECENNIE NOIR DE L'ALGERIE


On passe maintenant à un retour dans la fiction, et surtout en compétition long-métrage avec Roqia de Yanis Koussim, métaphore de la décennie noire algérienne et film de genre et d’exorcisme bricolé, à la veine ultra réaliste.


La proposition est profondément clivante, aussi car véritablement singulière, puisque derrière son sous-genre largement ressassé, le réalisateur développe une esthétique extrêmement terne et une mise en scène immersive, faite pour croire à l’authenticité des horreurs qu’on met en scène, autant réelles qu’éminemment fictives.


Le parallèle avec la décennie noire, et plusieurs à côtés scénaristiques peinent à pleinement se déployer à l’écran, écrasant le récit par leurs intentions et place, qui plus que de profiter d’une durée courte et efficace, donne le sentiment de ne pas en avoir vu assez.


En revanche, si le film est par instants très (voire trop) cryptique, il réussit à créer une atmosphère unique, dérangeante et inquiétante, où les quelques éclats de violence viennent broyer les tripes, tout en renouvelant le cinéma d’exorcisme et de possession démoniaque.


Le propos, qu’on pourrait facilement juger très maladroit, réussit en fin de compte à faire la catharsis d’un traumatisme national, et ose confronter les « hérétiques » à ce qu’ils sont : de véritables démons en passe d’hériter leurs pulsions de mort.


Est-ce que c’est totalement abouti, pas du tout, mais est-ce un début de carrière prometteur ? Disons que c’est en tout cas très intrigant, et que si les défauts du long-métrage ne cachent pas sa fragilité, il reste néanmoins une proposition inattendue et particulièrement forte de caractère.


Roqia de Yanis Koussim

Roqia de Yanis Koussim


On reste en compétition officielle avec un film espagnol qui aura, si on en croit la cérémonie d’ouverture, fait s’effondrer en larmes une des programmatrices du FIFIB, pourtant caractérisée comme plus solide qu’un roc.


La Lucha donc, de José Angel Alayon Dévora, contant les relations père-fille dans un décor épique et désertique, l’île Fuerteventura, dans une atmosphère néanmoins naturaliste, empreinte de tendresse et de conflictualité, notamment dans la représentation du sport, prenant plus la forme d’une étreinte que d’une confrontation directe.


Le film démarre extrêmement bien, et promet une errance statique où le deuil plane, de même qu’une blessure au genou du paternel, compromettant sa passion pour la lutte. Cependant, si le film reste excellemment bien dirigé et que la mise en scène capte la joliesse et intimité du propos, son développement se révèle terriblement convenu et ronflant.


Le rythme peine à se trouver, entre la simple efficacité du fond et une langueur plus « arty » et en fin de compte, assez artificielle, bouffant petit à petit l’émotion du métrage, qu’on aurait souhaité débordante. Il faut tout de même rendre au film ses qualités réelles, et son dernier quart-d’heure qui relève carrément le niveau, mais le tout peine à totalement sortir du lot, et par conséquent, à délivrer son atmosphère mélodramatique, son réalisme, malgré la constante pudeur de la réalisation.


La Lucha de José Angel Alayon Dévora

La Lucha de José Angel Alayon Dévora


LE RETOUR DE CLAIRE DENIS


L’heure maintenant d’une des très grosses attentes de ce FIFIB 2025 : l’arrivée de l’immense cinéaste Claire Denis, venue présenter Le Cri des Gardes, adaptation très personnelle de la pièce de théâtre Combat de nègres et de chiens de Bernard-Marie Koltès.


Sans retracer l’historique de la production et création de cette adaptation, dont l’idée est venue à Claire Denis dès le début des années 80 et qui n’a vu le jour qu’avec des moyens techniques extrêmement limités, on peut dire que ce nouveau film ne va pas réconcilier les détracteurs de la cinéaste après son déjà très clivant Stars at noon ; enfermant ici encore plus ses personnages, bien que resserrant son sujet.


La radicalité de cette adaptation tient en partie de son essence théâtrale, donnant à voir un huis-clos à ciel ouvert, de nuit, sur un chantier public où le frère d’un ouvrier demande à récupérer le corps du défunt.

Le film va s’articuler sur un dialogue de sourd entre ce citoyen lambda, passant en boucle les mêmes phrases, la même demande, le même souhait simple, toujours réfuté et complexifié par le chef de chantier, s’apprêtant à passer une lune de miel avec sa femme et un de ses associés.


La mise en scène de Claire Denis, connue pour sublimer les corps, est ici plus apte à emprisonner ses personnages, dans un mensonge qui ne tient pas, une demande qui n’avance pas et une cocotte minute qui bouillonne à pas de loups, faisant ressurgir l’hypocrisie des colons, et la douleur des peuples colonisés. Le film tient en haleine de bout en bout, jusqu’à absorber le spectateur dans cette fièvre funèbre et angoissante, où ce décor manufacturé, d’une simplicité hors-pairs, est certes incroyablement bien filmé, mais surtout appréhendé, donnant à ressentir son écrin réaliste, quasiment documentaire.


Même si le manque de moyens se ressent souvent, la cinéaste arrive à offrir une expérience toujours aussi sensorielle, ne faisant pas du bête théâtre filmé, mais assumant la dimension ultra restreinte de son décor, pour créer dans ses plans séquences et ses choix de montage, ou de flash-back, des émotions tout aussi signifiantes, s’appuyant en plus encore une fois, dans un contexte encore plus réel que l’œuvre qui, fatalement, restera une pièce de théâtre sur une scène fictive.


Le long-métrage est encore à décanter, mais pourrait se révéler encore plus riche que ce qu’on imagine déjà, Claire Denis prouve avec Le Cri des Gardes qu’elle a toujours un œil de cinéaste, qu’on peut autant admirer qu’il viendra déplaire, mais qui rend cohérent chaque choix de forme comme de fond. Puis il faut le dire, elle sait diriger ses comédiens, Matt Dillon est imposant et Isaach de Bankolé (actuellement à l’affiche dans Muganga) prouve qu’il possède un charisme et une aisance monumentale.


Sortie le 8 Avril


Le Cri des Gardes de Claire Denis

Le Cri des Gardes de Claire Denis

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