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Le Système Victoria - Sorry We Tricked You

Tom Belarbi

écrit par Tom Belarbi--Jean





Éric Reinhardt n’est peut-être pas un nom qui sera inconnu même aux personnes comme moi, plus ciné que bibliophiles, pour cause, au-delà de la qualité de ses écrits, il a su être mis en lumière par le 7e art dans l’adaptation de son L’Amour et les forêts par Valérie Donzelli, avec Virginie Efira. Un adaptation et surtout petit succès populaire en 2023 qui a su marquer les esprits par son climat anxiogène accompagné d’une mise en scène inspirée, et d’un propos fort. Rien qu’à la lecture du synopsis du Système Victoria, on sent que le propos sera là aussi un des éléments phares de l’œuvre, plus politique que social ceci dit, étant donné qu’il sera question des déboires d’un ancien architecte, reconvertit en directeur de travaux dans la construction d’un gratte-ciel typique de La Défense qui prend en revanche beaucoup de retard, trop de retard pour le client de ce dernier. C’est du moins ce qui ressort de la version cinéma des écrits de Reinhardt, qui prend lui une direction bien différente, plus proche de ses personnages dira-t-on, là où Sylvain Desclous retrouve un genre, ou plutôt sous-genre qu’il avait déjà exploré précédemment dans sa carrière avec le thriller politique. Après un documentaire sur des élections municipales en région rural, De Grandes Espérances avait plus ou moins mis un coup de projecteur à sa carrière, et montré un certain renouveau et ré-intérêt pour cette formule, par essence, très politique, mais aussi très identifiée, par les auteurs et les codes narratives plus ou moins assumés et réinventés. Sylvain Desclous avait réussit à proposer une vision, peut-être neuve, en tout cas plutôt réjouissante et prometteuse quand au reste de sa carrière, et il est temps, avec son nouveau bébé, de voir s’il transforme ou non l’essai.





J’avais donc, sans mauvais jeu de mot, de grandes espérances quand à ce Système Victoria, qui visuellement, monte d’un cran certain par rapport au précédent long-métrage de Desclous. Je pense que ce dernier est même potentiellement en phase de devenir un vrai formaliste, le genre d’auteur capable de ressortir de vraies références filmiques pour les incorporer à son récit, pas tant par subtilité que maîtrise, et la mise en scène du Système Victoria est justement constamment maîtrisée. Là où le réalisateur pourrait tomber dans une certaine platitude quasi télévisuelle ou même une simplicité presque académique, ce dernier cherchant avant tout la lisibilité, Le Système Victoria préfère néanmoins le style et se démarque par ses recherches constantes dans la composition. Quelque chose de pas si incohérent quand ces idées ont presque systématiquement avoir avec l’architecture des décors, le placement de la caméra par rapport à ces derniers, de quoi faire résonner la profession de cœur du protagoniste plus fortement à l’image. Rien de profondément inventif malgré tout, surtout face au mastodonte The Brutalist qui fait peu ou prou la même chose, plus intensément encore ; bien que n’enlevant pas l’effort tout de même palpable du réalisateur, qu’on prend pour ma part plaisir à voir vu l’artisanat de qualité mis en place. Même si le plaisir n’est pas forcément l’émotion premièrement affichée par le réalisateur, Le Système Victoria étant en partie un thriller, le suspens et la tension se dégage dès le tout premier plan, incombant un générique, un long plan qui arrive à donner très facilement le vertige et même un quasi malaise face à l’architecture, jusque-là très brutaliste et impersonnelle du chantier. Les restaurants chics et autres boîtes de nuits font la part belles aux effets de reflets et autres jeux de lumière, afin de donner une part de trouble et d’inquiétude aux scènes de discussion entre le protagoniste, David, et cette mystérieuse Victoria. Au-delà des travaux de repérages, Sylvain Desclous propose une mise en scène sublimant, ou du moins, tirant le plein potentiel des lieux qu’il filme, au-delà du simple bel-ouvrage, son film est blindé d’initiatives qui apportent un ressenti palpable aux émotions qu’il convoque. Le film mettant en scène autant des moments de trouble que de pure intimité (familiale et sexuelle), il est intéressant de voir le réalisateur détourner son dispositif pour un ton comme l’autre, comme ce dernier marrie ces deux genres et tons dans une même œuvre. Mais voilà, ce modèle de tension permanente se ressent presque constamment, et parasite les autres émotions, ou du moins, enjeux, propre au récit du film, qui passe sans la moindre demi-mesure du thriller érotique au film social en passant par la course contre la montre façon A plein temps. Tout d’abord dans l’aspect dramatique, autant familial que social, le film en devient même assez convenu et plutôt barbante à la longue, on a l’impression que cette partie semble presque sous-évaluée et mal dosée entre les enjeux intimes et familiaux ; sans pour autant ressentir le déséquilibre de David quand à la gestion de sa vie personnelle et professionnelle. Notamment sur le chantier, toujours aussi bien filmé, les discussions font rages, et on retrouve ce sens de la verve et du vocabulaire déjà présent dans De Grandes Espérances, mais moins cette même proximité avec les personnages, comme si ce film en était plus détaché malgré la qualité, et surtout le potentiel de ces scènes. Je ressent l’authenticité de la situation, mais moins sa chaire, car à ce niveau, le réalisateur ne se met pas vraiment au diapason du ton qu’il emploi, et ses enjeux. Donner un côté imprévisible, ou du moins complet à son film est plus qu’entendable, mais pour Le système Victoria, chacun semble sortir d’un chapeau au gré de péripéties manquant drastiquement de substance, et se résolvant presque systématiquement de manière un peu secondaire, comme si le réalisateur ne savait pas lequel de ses enjeux était le plus important. Le film reste dynamique et lisible, mais l’idée de départ, ou du moins, l’intention de départ, bien que visuellement aboutie peine parfois à prendre sur la longueur perdant pas mal de son intérêt si ce n’est dans sa simple beauté plastique.





Alors, est-ce que ce film est une réussite pour autant ? Si seulement, car si la mise en scène fait largement le café, l’écriture est quand à elle définitivement très brouillonne, et au-delà des changements de ton, souffre avant tout de son statut d’adaptation. Difficile sans avoir lu l’ouvrage d’Eric Reinardht de savoir qu’est-ce qui a été, ou non, précisément enlevé, bien qu’une rencontre avec la réalisateur et l’auteur m’a en partit permis d’élucider quelques interrogations, mais quoiqu’il en soit, il y a quelque chose dans ce récit qui ne fonctionne pas et c’est son aspect lourdement répétitif. Le film est comme dit plus haut, construit sur plusieurs tonalités, plusieurs enjeux, mais ces derniers fonctionnent presque par bloc et pas vraiment en harmonie. Quand on passe sur la construction de la tour, on y reste et le film reste concentré sur cet enjeu. En revanche, quand le personnage de Victoria (et la libido de David) refont surface, on oublie cet enjeu tant le caractère érotique de leur relation prend le pas sur l’aspect social et politique. Autant vous dire que c’est de même sur la relation père-fille de David, encore que ces passages sont tellement clichés et anecdotiques que je m’empresserai juste de l’énumérer. Ce n’est d’ailleurs pas non plus aidé par les dialogues, loin d’êtres horribles mais trop littéraires, trop écrits, les relations en prennent rapidement un coup en dépit du talent malgré tout présent des comédiens, qui arrivent tous à tirer leur épingle du jeu dans ce bordel ; Jeanne Balibar en tête, qui semble s’amuser comme un folle avec son personnage. L’occasion de prouver leur talent, tant ils se démarquent face au bordel ambiant, parce qu’au-delà de faire transitionner chacun de ces enjeux l’un après l’autre d’une manière terriblement machinale, le problème du Système Victoria repose selon moi sur l’incapacité du metteur en scène à correctement marier ces tons, ses thèmes et ses intrigues. Tout s’entremêle de manière étrange, parfois même très forcée, comme si certains événements et éléments sortaient d’un chapeau, et le tout manque selon moi vraiment de substance, en particulier dans les relations entre personnages, constamment programmatiques et servant bien plus le scénario que leur propre authenticité et empathie. A vrai dire, lesdits éléments n’aboutissent juste sur rien de concret ou même d’intéressant, juste comme posés là tandis que la colonne vertébrale du récit ne change et ne se renouvelle presque jamais, en dépit de plusieurs temps forts, de moments de grâce, au potentiel gâché. Les rendez-vous avec le client sont par exemple particulièrement savoureux, surtout à la fin, tant elles dénotent de l’ensemble par leur caractère purement satirique, mais au final, en dépit du plaisir et du charme immédiat, rien ne perdure vraiment. Le personnage de Victoria en devient un symptôme assez décevant, d’abord archétype de la « femme fatale », qui élève autant qu’elle manipule le héros, reste dans les conventions tant elle n’est que promesses narratives, faisant face à la trop grande gourmandise de Sylvain Desclous, qui ne se refuse rien, mais en même temps reste dans la retenue. Le sexe est présent dans Le Système Victoria, mais jamais en abondance, on coupe toujours un peu avant de tomber dans le cru, et cela pour éviter de réduire le film à cette tonalité, à garder un certain équilibre à l’ensemble. Un choix mature et honorable, qui marche sur le papier mais pas à l’écran, trop souvent ces scènes semblent s’auto-censurer, comme pour éviter de choquer un public trop âge. A force de constamment s’éparpiller dans le trop-plein de matière servis par le roman, le réalisateur peine à trouver l’équilibre nécessaire pour accorder chacun de ses enjeux, et encore pire pour ses personnages. En ressort un film frustrant car ne développant rien par peur de déséquilibrer la balance, mais qui dès lors, s’enferme dans son propre système, machinal et redondant qui fait perdre toute puissance à l’ensemble en dépit de ses superbes idées.



Sortie dès ce mercredi


Le Système Victoria n’est pas à proprement parler un mauvais film, il est habilement composé et interprété, mais rate le coche d’adapter avec cette même habileté la palette de genres et de tons auxquels s’exposait le metteur en scène. Sylvain Desclous déçoit, car après un précédent film moins aventureux dans la forme mais parfaitement maîtrisé, il fait tout l’inverse, un film qui se brûle les ailes à force de vouloir raconter trop de choses et qui finit par ne plus rien offrir d’intéressant.

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