Ma Mère, Dieu et Sylvie Varthan - Ma vie avec un pied-bot
- Tom Belarbi
- 19 mars
- 10 min de lecture
écrit par Tom Belarbi--Jean
Même les moins adeptes au cinéma québécois ont sans doute entendu parler de Starbuck, comédie douce-amer somme toute sympathique, ayant révélé le cinéaste au public francophone il y a maintenant plus de 12 ans. Ce brusque retour en arrière ne vous aura sans doute pas échappé si vous vous êtes, comme moi, mangé la promotion plus qu’agressive de son nouveau film ; de quoi donner un certain contraste avec le reste de la carrière de Ken Scott. Car ce dernier n’a depuis pas chômé mais est plus ou moins retombé dans une forme d’oubli, manquant à de multiples reprises de marquer à nouveau son public. Ce sera enfin chose faite avec ce Ma mère, Dieu et Sylvie Varthan, adaptation du roman autobiographique de Roland Perez, qui au gré de son casting, de ses multitudes avants-premières, et tout simplement de la grande appréciation du public, a su faire pas mal de bruit, au point où je peux déjà assurer au film un beau succès populaire. Il faut dire que ce dernier a de quoi accrocher l’audience par son pitch, racontant sur plus de 40 ans la vie d’Esther, héroïne du quotidien qui va coûte que coûte tout faire pour promettre l’avenir le plus beau à son benjamin, Roland, un enfant né avec un pied-bot qu’elle est déterminée à rendre valide. Œuvre à la fois mélancolique quand il s’attarde sur les épreuves de la vie, mais surtout très feel-good, avec son ton souvent léger, ses protagonistes hauts en couleur, et une narration blindée de légèreté et d’anecdotes pas croyable d’une vie sans demi-mesure, et surtout, tirée d’une histoire vraie. Le mot magique qui agit comme une pincée de sucre sur un gâteau déjà parfaitement garni pour conquérir le cœur du public, mais est-ce qu’il en sera de même pour celui des plus critiques ?

D’une certaine manière, Ma mère, Dieu et Sylvie Varthan avait tout pour me plaire, dès l’entame, qui n’essaye pas de cacher la nature du film à suivre, et pour cause, on sent dès le début une certaine ambition de la part du réalisateur. Si Ken Scott a été plutôt mis en avant pour ses qualités d’écriture, ce film montre aussi une grande aise de sa part dans sa gestion de la mise en scène, à la fois dans le caractère historique du film que plus léger, notamment dans le premier tiers, en pleines années 70. C’est pop dans la légèreté du ton, et en même temps classieux son traitement filmique, cherchant toujours à proposer du bel ouvrage et de la belle image. Il y a une belle aisance dans le montage, avec plusieurs passages assez formidablement amenés dans leur manière de résumer l’action, comme lors du premier tiers, lors de l’enfance, où de nombreux événements viennent continuellement souligner la qualité principale de Ken Scott, à savoir sa manière de raconter les histoires qu’il met en scène. Il y a, comme dit plus haut, beaucoup de légèreté, mais aussi et surtout quelque chose de presque ludique dans ce film, un constant intérêt aux détails, aux petites actions plus ou moins anodines qui parviennent plusieurs fois à résumer un temps long en quelques secondes, mais aussi, à donner une certaine authenticité quand à la famille filmée. On est parfois pas loin d’Amélie Poulain, malgré que le film abandonne petit à petit cela pour se concentrer ensuite sur la vie adulte de ses protagoniste, avec, visuellement, quelque chose de déjà moins recherché, ou plutôt, moins frais et poétique que précédemment. On sort en tout cas plus ou moins du biopic plan plan pour un rendu que je qualifierai quoiqu’il en soit de généreux, une qualité allant de pair avec l’ambition du début, et surtout plutôt élégant dans son approche de l’humour, ne faisant pas constamment mouche, mais qui au-delà de créer de la légèreté, réussit à apporter un ton pétardant à tout le film. Même si sur certaines scènes on frôle quasiment l’hystérie, la générosité du projet se retrouve aussi dans l’humour, allant de dialogues absurdes, de gestes candides ou autres gags de répétitions, qui permettront sans aucun doute aux spectateurs de passer « du rire aux larmes », mais qui viennent aussi peut-être amenuiser ce qui semblait pourtant le plus essentiel à ce récit : son aspect dramatique. Classicisme mais bien emballé, avec un humour bien inséré et qui fait mouche entre performances et texte.

Il est peut-être là, un des gros soucis que j’ai avec ce nouveau Ken Scott, le problème de ton, parce que je trouve que le réalisateur ne trouve jamais le juste milieu avec ce film, et cette-dite justesse s’incarnera d’ailleurs sur d’autres défauts plus ou moins gênants. Parce que comme dit plus haut, bien que le film soit assez réjouissant et solaire, il narre aussi et surtout une relation mère-fils peu commune et qui au-delà de son caractère unique, découle sur les inénarrable problèmes de la vie. Le film balance constamment entre réalisme dramatique dans ses péripéties du quotidien et le rappel que quand même, cette histoire elle est invraisemblable, trop grosse, mais c’est une histoire vraie donc ça va. Je taquine, mais ce genre de carte joker m’enquiquine quand même, car j’ai eu l’impression de voir un motif d’autorité, comme une prise d’otage émotionnelle, plutôt qu’un simple outil marketing. C’est par ailleurs là où Amélie Poulain est toujours aussi beau à mon sens, car en assumant la pure fiction, le côté « merveilleux » du film n’en devient que plus intense, là où je me tient plus à distance devant Ma Mère, Dieu et Sylvie Varthan. On est loin d’un des seul réel héritier de ce « style » si je puis l’appeler ainsi, qu’est Adam Elliot, notamment avec Mary et Max qui était lui aussi adapté de faits réels, mais bien moins aseptisé. Parce que oui, le film sent quand même à mon goût plus la superproduction lisse pour tous public que le film d’auteur sensible à la manière de Starbuck. Le film est trop léger tout le temps, et si cette légèreté peut être un plus à certains moments, autant pour dédramatiser des sujets sensibles comme le deuil ou le handicap, ils peuvent aussi ruiner, ou du moins amoindrir la profondeur du récit et son impact sur le spectateur. En revanche, derrière ce formatage très regrettable, mais pas gênant sur le papier, il y a la très belle surprise du casting, qui respecte ce côté « populaire » par sa simple présence, mais qui me laissait quand même un peu suspicieux. Je suis très admiratif du jeu de Leila Bekhti (et à ce sujet je parlerai peut-être un jour d’un mea-culpa que je lui avait adressé en ce funeste 2 mars 2023), mais force est de constater qu’un rôle comme celui-ci, avec son supplément maquillages attrape-Césars, c’était pas ce qui me faisait le plus envie. Pourtant s’il devait il y avoir une chose solaire dans le film, ça serait elle ; constamment juste, d’une grande empathie et sincérité, si j’ai de gros problèmes avec l’écriture de son personnage, Bekhti n’en fait clairement pas partit. Mais à côté d’un casting secondaire tout aussi bon (avec notamment Milo Machado-Graner, qui va définitivement s’installer dans le paysage cinématographique français à mon grand bonheur), il y a Jonathan Cohen, qui clairement, dans son phraser et certaines répliques, fait plus ou moins du Cohen, mais le bougre arrive enfin à sortir un tant soit peu de son personnage. Qu’on le trouve bon ou non, ça commençait personnellement à légèrement me saouler, et j’avais peur d’une énième redite qui n’est pas arrivée, peut-être parce que son personnage est plus « grave », mais il arrive à être tout à fait authentique, juste, et surtout à sortir du carcan dans lequel on l’avait glissé pour être réellement Roland Perez.

Maintenant, bien que la mise en scène puisse laisser transparaître plusieurs carences plus ou moins problématiques quand à mon appréciation du film, l’écriture a petit à petit été le facteur numéro un de ma dépréciation du film. D’autant que comme pour le reste, si le début promettait quelque chose de plutôt léché, l’exécution m’a petit à petit tenu distant de toute empathie pour le projet tant j’avais l’impression d’un peu être pris pour un couillon. Je schématise évidemment, peu sont ceux à faire des films pour le déplaisir esthétique des spectateurs, et la sincérité du metteur en scène pouvait se ressentir autant sur scène à l’issue de la présentation du film, que dans le produit final, mais justement ce produit, est en fin de compte aussi formaté que brouillon. Car il est peu dire que se farcir 40 ans de vie, ou plutôt de vies en à peine 100 minutes, c’est un challenge, et techniquement il est admirablement rempli par Ken Scott, qui reste un excellent conteur. Le film se déroule bien, ne laisse pas de place au gras, à l’ennui et résume sans chichi la vie de Roland Pérez. Et il est là le problème, aussi divertissant, grand public, juste ou sincère soit la proposition, elle ne fait que bien se dérouler, elle se contente de retranscrire plutôt qu’adapter un récit de vie aussi dense (sans parler du nombres de pages du roman d’origine). Le film est bancale dans sa manière de constamment empêcher le développement intime des personnages, ces derniers sont constamment noyés par l’Histoire qu’ils vivent, mais dont je me fout petit à petit du déroulé tant je n’ai par leur biais quasiment plus aucune attache émotionnelle. Exception faite encore une fois du premier tiers, qui se concentre principalement sur un lieu, l’appartement, un groupe, la famille, et qu’on voit agir et se mouvoir tout du long dans une période précise, bien mieux narrée et délivrée au spectateur quand le reste du film va à ce point dans tous les sens. C’est un entre-deux d’autant plus bâtard que le rythme très soutenu n’apporte au film aucune pose, aucun moment pour s’interroger deux minutes sur ses personnages, que dans l’unique but de faire défiler le temps et l’histoire, dont le réalisateur peine selon moi beaucoup trop à synthétiser l’ambition. Parce qu’à ce niveau je n’oserai même plus parler d’adaptation, les événement s’enchaînent à une telle vitesse que j’ai parfois eu l’impression qu’on avait coupé 1h ou plus, pour en rester au minimum syndical, et encore une fois, pas tant le scénario que l’histoire. La nuance était qu’un scénario ce n’est pas qu’un récit, c’est des personnages, des intrigues, des développements, des nuances, etc, et ça, le film le balaie pour en rester à la simple narration, ce qui pourrait marcher s’il n’était pas aussi fourni thématiquement et formellement. Parce que dès lors le côté « fresque » est juste risible, on sent le temps avancer, sans d’ailleurs user de cartons temporels, mais jamais au niveau d’une intrigue aussi étirée, et cette dernière en devient dès lors juste accessoire. On enchaîne les événements, les rencontres, les personnages plus ou moins secondaires, mais rarement, pour ne pas dire jamais, ceux-ci ont un impact durable, quelque soit leur degré d’apparition ; ils sont juste accessoires, fonctions d’une adaptation ambitieuse mais en bout de course extrêmement creuse.

Une adaptation par ailleurs, des aveux du réalisateur, la plus fidèle et respectueuse possible, et je décèle là-dedans un facteur de ma non-appréciation du film : le fait que Ken Scott ait juste raconté une histoire mais n’ait pas su comment la raconter. Le problème fondamental de cette adaptation réside selon moi dans le point de vue, parce que c’est simple, je n’ai aucune idée de celui que prend en charge le réalisateur, ou plutôt, j’ai l’impression que comme pour l’intrigue formelle, ce dernier le fait en fonction de ce que le récit d’origine raconte platement sans pour autant s’interroger sur le fond de son film. Je n’ai aucun problème avec la bascule de point de vue, qui s’opère techniquement entre la première et deuxième moitié du film, puisqu’on suit d’abord le combat de la mère pour son fils, avant de suivre l’évolution de ce dernier dans sa vie d’adulte, au moment où Jonathan Cohen embrasse définitivement le rôle de Roland. Cependant là où est le drame c’est qu’au final, je ne sais jamais ce que le réalisateur veut faire de la relation mère-fils qu’il tient, et c’est d’autant plus criminel qu’il a de l’or entre les mains. Parce que le geste d’amour maternel du début peut se transformer en quasi obsession castratrice par moments (le personnage de l’assistante sociale le soulève d’ailleurs bien), si la phase de l’enfance promet quelque chose d’ambiguë, tout s’écroule quand la suite du film révèle l’incapacité du réalisateur à traiter d’un fait qu’il met pourtant en scène, toujours afin d’être respectueux. Respectueux des faits réels qui ne donnent raison ni à l’un, ni à l’autre, mais à une candeur digne des bisounours, et respectueux des personnages, un homme à l’enfance extraordinaire qui fait pourtant tout pour rentrer dans le rang (mais qui va apprendre que c’est sa différence qui compte et mon cul chie des arc-en-ciel), et surtout, sa maman, super-héroïne du quotidien qui fait bien de rester à la cuisine car sans ça son fils aurait pas été avocat. Bon je grossit les traits, mais on est pour moi pas loin d’un récit arriéré voir conservateur, si le courage et la dignité de cette mère est indéniable, au final le film la traite tellement que sous ce joug maternel que le personnage devient juste limité, d’autant qu’encore une fois, le réalisateur n’arrive jamais à exploiter ou développer sa personnalité au-delà de son amour maternel. Jamais on ne soulèvera les parts d’ombre des personnages, ou plutôt jamais le cinéaste ne les exploite, ne créé une quelconque ambiguïté, les doutes sont toujours rapidement évincés, et parce qu’on s’attarde plus sur l’histoire que les personnages, le film en devient lisse, pour ne pas dire sans âme. Car tout ce que je retient dès lors c’est non pas, une relation mère-fils, mais bien une histoire cul cul la praline dont je ne dénigre à aucun moment sa véracité, mais bien sa mise en scène au cinéma. Au final, le film loupe son plus gros potentiel, sa bascule de point de vue, puisque durant tout le film, on ne sait jamais vraiment qui de la mère ou du fils apprend de l’un ou de l’autre, de qui le réalisateur souhaite montrer l’évolution, comment, etc. Je dirai même que tout semble gratuit dans l’évolution de ces derniers, que ce soit la mère, dieu ou Sylvie Varthan, rien de vraiment profond, ou juste creusé, un simple constat de la vie extraordinaire de Roland et sa maman (et que Sylvie elle est vachement sympa), et c’est tout. Oui tout, un concentré de niaiserie qui m’a de plus en plus saoulé et qui aurait pu à la limite apporter une vraie mignonnerie à l’ensemble si ce tout n’était pas constamment là pour magnifier et lisser le récit, en balayant d’un coup de vent les enjeux moraux et la profondeur des personnages pour le confort des spectateurs souhaitant s’abrutir.
Je peux sembler dur mais ce rejet témoigne aussi de la grandeur de ma déception, car oui Ken Scott avait de l’ambition pour ce projet, mais je ne le vois jamais arrivé à terme tant il sous-traite le potentiel de son récit et de ses personnages. En découle un film pas désagréable à voir, mais qui m’a semblé plus merveilleusement marketé qu’agencé, tout est là pour plaire au plus grand nombre, mais dès qu’on creuse, l’édifice sur le papier solide s’effondre, et le premier tiers réjouissant m’a laissé face à un constant sentiment d’échec face à des promesses assumées à demi-mot d’un film qui n’a rien à dire sur la foi, la maternité ou la pop des années 70 et consort. Rien qui ne dérangera les spectateurs occasionnels venu voir une belle histoire, mais bien plus ceux comme moi qui aiment voir du sens derrière les films, aussi dans un souci d’émotion, parce que là mes yeux sont restés bien secs.
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