écrit par Tom Belarbi--Jean
On avait quitté Adam Elliot il y a 16 ans, à l’époque le metteur en scène australien, déjà remarqué et oscarisé pour son court-métrage Harvey Krumpet, avait complètement surpris et captivé l’audience avec son désormais culte Mary et Max ; long-métrage en stop-motion faisant depuis partie des figures de proue du genre aux côtés des réalisations des studios Aardman ou de metteurs en scène réputés comme Henry Selick. Il faut se rendre compte de l’ampleur du bazar, étant donné que ce petit film, déjà lauréat du cristal d’Annecy (équivalant à la palme d’or de Cannes) était surtout un premier long, pourtant considéré comme un des plus émouvant et réussit de son année, tout en apportant une patte singulière et neuve au cinéma d’animation. En un mot, ce premier coup en était un de maître, et si l’attente était forcément longue, elle était méritée, d’autant que la prémisse laisse songeur quand au résultat final ; étant donné que le film traite de la relation fraternelle et marginale entre deux faux jumeaux, et du désespoir engendré par leur séparation forcée par la mort de leur père. Est-ce que ce Mémoires d’un Escargot transforme l’essai pour Adam Elliot, ou s’agit-il d’une déception de taille vu l’ampleur de l’attente ? Une réponse évidente ci-dessous :
Je me souvient des premiers mots que j’ai employé à la sortie de ma séance à Annecy : « C’est décevant, j’attendais un grand film et je n’ai eu qu’un chef-d’œuvre ». Mes attentes étaient vraiment haute, car encore une fois Adam Elliot avait prouvé en un film qu’il avait un talent rare et précieux, et là où Mémoires d’un Escargot m’a légèrement déçu, c’est sur quelques petits détails ; détails certes, mais qui empêchent peut-être au film d’atteindre l’ampleur et même niveau de superbe que précédemment. Cela tient en deux choses, l’une, personnelle, est que si le style d’Adam Elliot est reconnaissable entre mille, il peine dans ce second long à vraiment évoluer, et j’aurai aimé être moins en terrain connu tant certaines idées et directions artistiques évoquent trop le premier film du metteur en scène, qui peine à totalement se réinventer sur certains points (même si je nuancerai ça sous peu). Ironiquement le second point est lui plus dû à un changement, car si certaines thématiques et caractérisations font directement écho à Mary et Max, comme cette relation quasi fusionnelle devenant bientôt épistolaire, mais Mémoires d’un Escargot va lui plus tendre vers une narration non-linéaire, où la voix-off omniprésente et omnisciente du premier devient prétexte à un rembobinage intérieur de la vie de Grace Pudell, la protagoniste du film. Je trouve ce prétexte assez bâtard, car justement, c’est un prétexte plus assumé, et qu’il perd la force évocatrice de la voix-off de Mary et Max, mais surtout, car elle me paraît moins forte, plus convenue et programmatique sur sa narration, que ce successeur peine à aussi magistralement maîtriser que son aîné. Et… eh bien c’est à peu près tout. Le niveau de pinaillage est fort mais s’élève au talent d’Adam Elliot, qui vous l’aurez deviné, m’a encore complètement charmé et même bouleversé ; tant bien même que je trouve Mémoires d’un escargot moins parfait, il reste comme dit plus haut un chef-d’œuvre ultra abouti, une pure merveille capable à mon sens de toucher tout le monde, par les thématiques qu’il traite, et surtout justement par son traitement. Tout d’abord car Adam Elliot fait partit de ces artistes ayant comme qualité première d’être d’excellents conteurs. C’est un metteur en scène capable de raconter de la meilleure des façons l’histoire qu’il a entre les mains, et si cette qualité peut paraître anodine au regard de la technique impressionnante de ses films, elle reste le cœur même de la qualité indéniable de son œuvre. Et c’est ainsi impressionnant de le voir utiliser, certes moins bien que précédemment, mais tout de même magistralement, cette voix off, principe éculé du cinéma, d’une façon pas des plus innovantes, mais émotionnellement très impactante. Parce qu’Adam Elliot arrive par ce biais à explorer dans toute leur psyché ses personnages, en particulier celui de Grace le long d’un monologue intérieur ne décrivant pas tant les situations vécus que son ressenti et sa nostalgie. Et ce, il le fait avec, plus qu’une tendresse, une dignité rare, n’hésitant pas à mettre autant l’accent sur les éléments les plus crasseux que mélancoliques ou comiques, si je reviendrai sur les changements de tons sous peu, déjà dans son approche, Adam Elliot offre un récit sans édulcoration, qu’elle soit thématique ou sentimentale, rien n’est épargné au spectateur, pour le meilleur comme le pire.
Notamment parce qu’Adam Elliot est un cinéaste du détail, qui traite ses personnages, très caractériels, avec une profondeur touchante mais surtout inédite et inattendue qui vient faire vibrer l’âme de n’importe quel mortel ; d’autant que ce dernier traite souvent de thèmes profondément universels. Bien que Mary et Max abord la question de l’autisme, la relation épistolaire entre les deux personnages était une relation à distance non sans rappeler les nôtres sur les réseaux, qui de facto, abordait frontalement l’amitié ou solitude en découlant. Dans Mémoires d’un Escargot, comme dit plus haut nous suivons l’histoire de deux faux jumeaux Gilbert (le garçon) et Grace (la fille), et en particulier de cette dernière a qui est attitrée la voix-off ; le film débute sur la mort de son amie, la vieille Pinky, dont on apprendra à connaître le caractère exubérant plus tard ; alors que la jeune femme relâche un escargot, son animal totem, duquel elle aime revêtir les antennes sur son chapeau, qu’elle regarde partir au gré de son monologue interne. Le ton est dès lors donné, que ce soit sur les thèmes et leur traitement, dans une atmosphère assez sombre, presque désespérée et profondément mélancolique, malgré plusieurs détails, eux, comiques et comme le reste, pas anodins. Quoiqu’il en soit, l’empathie est immédiatement créée, on est interpelé par la vie de cette femme, qu’on découvre d’abord dans ses années d’enfance, avant que son frère soit embarqué par les services sociaux. Le film va s’évertuer à retracer sa vie, au gré de moments aussi anodins que formateurs, de simples éléments de routine comme ses séances de lecture à des moments forts comme ses moments en famille au parc de Conny Island ; qui petit à petit, prennent une importance capitale, d’autant quand le film re-cite ces plans, scènes voire dialogues . Toute la facette de sa vie est projetée, et plus que d’apprécier Grace Pudel, on a l’impression de l’avoir toujours connu, et il est là le talent d’Adam Elliot, il arrive par je ne sais quelle magie noire à capter toute l’humanité de ses personnages et à la retranscrire magistralement sur l’écran. C’en est presque un tour de magie, et cela se retranscrit par ailleurs dans le déroulé de son intrigue, pas loin de la fresque d’une certaine manière, tant Mémoires d’un Escargot s’étale dans le temps, multiplie les personnages et situations au point de paraître aussi complet que tentaculaire, bien que la courte durée du film, et sa narration efficace en restant constamment à l’os, offre une efficacité certaine au long-métrage malgré mes reproches sur la narration.
On retrouve par ailleurs ce qui fait indéniablement le charme du cinéma d’Adam Elliot, peut-être un des seuls réalisateur voire artiste contemporain à parvenir à créer une œuvre qui puisse réellement « changer votre vie ». Vous en avez forcément vu un, rien que Forrest Gump est un exemple fort, partageant de nombreux points avec Mémoires d’un Escargot et même Mary et Max, mais peut-être pas tant sur la qualité de ce dispositif narratif, pouvant facilement tomber dans la prétention, la naïveté ou la gêne. Or, Adam Elliot ne tombe jamais dans ces travers, aussi car en dehors de la dignité qu’il apporte à ses personnages, plus qu’un regarde misérabiliste ou au contraire sacralisé, une modestie et nuance irréprochable. C’est notamment dans ce qui peut faire défaut à ces films, les dialogues, très écrits qu’il arrive à apporter pourtant des messages forts, universels ; cette-fois justifié par le monologue interne. Pour autant ces dialogues, ces leçons de vie même, ne paraissent jamais forcées, car on a le sentiment d’avoir côtoyé ces personnages, et aussi car leur écriture n’est jamais forcée, toujours enduite de poésie, parfois un peu macabre ou au contraire de réflexions internes qu’on sent très intimes bien que venant mettre une mandale au spectateur le moins avertit. Ainsi, là où Mémoires d’un Escargot pourrait paraître pompeux, il devient en réalité d’autant plus pertinents, reflétant le talent d’écriture d’Adam Elliot, dosant correctement les petits détails et plaisirs de la vie avec les grandes tournures tragi-comiques.
Toutefois je n’ai jusque-là pas vraiment abordé ce qui compose la plus grande qualité du cinéma d’Adam Elliot, son animation en pâte à modeler (et donc stop-motion) ultra caractérielle, qui a fédéré une partie du culte que je voue personnellement en Adam Elliot. Si on est pas au niveau de sophistication technique d’un Henry Selick, l’australien se rattrape largement par sa direction artistique, aux teintes sépia/noire/blanche dans Mary & Max, à une palette de couleurs plus ambitieuses dans Mémoires d’un Escargot, bien que toujours avec ce ton gris, sombre et par moments presque pesant. De plus, bien que le character design des personnages soit dans la droite lignée de Mary et Max, la mise en scène, quand à elle, bien que teintée de nombreuses références à ce premier cru (comme le personnage de Pinky non loin de celui de Vera), devient encore plus dense et ambitieuse ; en atteste ce premier plan (séquence) où la caméra virevolte dans un bazar de bric et de broc, rempli d’accessoires de l’univers du film, prétexte pour placer au gré d’une chansonnette le nom des différentes personnes derrière l’œuvre (un générique d’intro en somme). Un film en stop-motion où seule la caméra bouge, se mue, explorant un décor inerte, c’était quelque chose que je n’avait pas vu, une idée comme il en existe tant dans Mémoires d’un escargot, qui multiplie les idées justement, afin de proposer une œuvre au bas mot très ambitieuse. On en revient même presque à cette « magie du cinéma », ce sentiment de ne pas savoir comme de telles scènes ont pu être créer tant tout respire le fait-main et la débrouille, et autant cette descente de montagne russe au firmament que ce simple plan à l’intérieur du ventre d’une mère enceinte ; visuellement, des ombres au travail de lumière, du design des personnage aux décors, jusqu’au mouvement, à l’animation, tout semble singulier et jamais vu, dans un travail d’orfèvre comme on en voit peu chaque année. Du moins cela fait aussi partie de ses références, avec notamment celle de Jean-Pierre Jeunet, totalement assumée cette-fois avec la présence de Dominic Pinon au casting vocal. Comme lui, le metteur en scène australien s’attache à créer un univers visuel dense, à la colorimétrie extrêmement marquée, étrange, faite de bricolage, de jeu sur les dimensions, la matière, le mauvais goût ou encore le montage. Un degré d’initiatives parfois improbable, toujours inattendues, qui n’est pas sans rappeler Amélie Poulain, dans sa manière de traiter de façon extraordinaire le quotidien d’une paumée, les petits détails et plaisirs de la vie jusqu’aux visuels et effets de style singeant le fort intérieur de l’héroïne. Et comme dans Amélie, on retrouve aussi ce soucis du détail, ces petites phrases et plans au sens plus important au fil du métrage, ces personnages cassés desquels on va, parfois seulement un court moment, s’intéresser d’une manière aussi comique que morose. En ce sens les leçons de vie de Mémoires d’un escargot prennent tout leur sens et puissance, car on arrive à rentrer en 1h30 seulement, dans la vie d’un personnage, avec une profondeur inouïe et aussi réjouissante que bouleversante. Car encore une fois Adam Elliot est un cinéaste du détail, il se plaît à bourrer ses plans de petits accessoires et autres costumes ultra photogéniques, ses films deviennent visuellement magnifiques, en grande partie car ils sont incroyablement soignés, tout en reflétant les états d’âmes des personnages.
Car il y a autre chose qui rappelle le talent d’Adam Elliot dans Mémoires d’un Escargot et que je n’ai pas encore évoqué, son ton, ou plutôt sa multiplicité de tons. L’aisance du metteur en scène australien pour faire passer le spectateur du rire au larme, de la candeur à l’horreur, du glauque au sublime (et j’en passe), est rare, tout en un rien de temps et d’une manière parfois totalement imprévisible. Je passe le fait que comme pour Mary et Max, Adam Elliot cultive ce don à faire irrépressiblement chialer le spectateur dans ses 5 dernières minutes (teintées d’espoir, mais dévastatrices) mais si Mémoires d’un escargot peut à juste titre être qualifié de « glauque », tant son univers gris, à l’imagerie morne peut presque devenir pesant, ses ruptures de ton apportent une densité infinie au métrage. Déjà car, sur l’aspect narratif, on est constamment surpris, on ne sait jamais vraiment par quel bout le metteur en scène va prendre telle ou telle scène tant il aborde frontalement des sujets forts, parfois très matures (comme cette relation amoureuse plus que toxique, fétichisante), mais aussi car il s’autorise tout. Il n’y pas vraiment de tabou au sens où le réalisateur ne tombe pas dans l’extrême explicite, mais qu’il se permet de prendre n’importe quel sujet par le bout qui l’intéresse ; n’hésitant pas à jouer d’humour noir pour faire passer, au hasard, la mort, une amputation du doigt, les petites affaires d’un juge, etc. L’aisance de cet artiste m’impressionne et décuple les émotions convoquées par le long du métrage, autant dans le fond, que la forme. Car pour en revenir à l’animation, et même tout le travail sonore, du doublage à la musique voire au mixage, de la lumière aux matières travaillées, tout vient incarner le ressenti des personnages, d’une manière même plutôt subtile, car homogène, servant un tout d’une maîtrise technique et visuelle indéniable. L’animation est pour beaucoup repoussante, car l’empathie peut se heurter à la technique, au design des personnages jusqu’au style d’animation employé ; et il est peut dire que celui d’Adam Elliot n’est pas le plus lisse et agréable qui soit, et pourtant ça me paraît difficile de rester de marbre, et surtout antipathique des personnages qu’il met en scène ; au-delà de sa caractérisation. Car le réalisateur utilise l’animation au maximum de son potentiel esthétique, il en suce la moelle jusqu’à plus soif pour que chaque élément serve cette narration, cette tonalité constamment ambivalente, et les personnage. Rarement un film d’animation aura aussi bien rendu justice à cette idée (très théorique) que tout est possible par ce médium, non pas par un étalage technique, mais une aisance esthétique et émotionnelle frappante. Du génie en somme.
Mémoires d’un Escargot me paraît moins frappant et fort que Mary et Max, il reste un chef-d’œuvre, et la preuve qu’Adam Elliot est sans conteste un des metteurs en scène d’animation, voire du cinéma en général, les plus talentueux qui existent. Son film est une pépite confectionné avec un soin inégalable et une aisance folle dans la tonalité et direction artistique de l’ensemble. Un film humain, qui singe toutes les émotions de cette espèce au profit d’une histoire incroyablement touchante, jamais édulcorée ou tire-larme, mais qui vous fera facilement pleurer à grandes eaux.
A découvrir (expressément) au cinéma dès ce mercredi !
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