écrit par Tom Belarbi--Jean
Ce ne sera pas la première fois ici que je fait l’éloge, ou du moins que j’essaye d’apporter un tant soit peu de reconnaissance au cinéma d’animation. Souvent simplifié en genre, codifié comme un spectacle familial, voire de simple divertissement pour bas âge et de bas étage, en dépit de l’énorme et inattendu succès et bouche à oreille de Flow, les films d’animation peinent encore toutefois à être reconnu à leur juste valeur, et le succès du film de Gints Zilbalodis reste un peu l’arbre qui cache la forêt. Mais pas de quoi se lamenter pour autant, car une pelleté de films tout aussi accessibles et plus ou moins réussis continuent à sortir sur grand écran, et après Mémoires d’un Escargot, voilà un autre cru de la dernière compétition officielle d’Annecy, avec le retour d’un des metteurs en scène français les plus respecté dans le domaine. Slocum et moi est en effet le nouveau film de Jean-François Laguionie, un vieux monsieur n’ayant pratiquement officié que dans l’animation, et ayant offert plusieurs œuvres des plus marquantes dans le domaine, entre Louise en Hiver, Gwen et le livre des sables et surtout Le Tableau, qui en 2010 a initié le style visuel, mi-crayonné mi-peint, où les personnages en 3D évoluent dans un décor en 2D, style qu’on retrouve dans son nouveau bébé. Une fresque familiale d’après-guerre où l’on suit François (tient, tient…) enrôlé par son père dans la construction d’un bateau dans le jardin de leur maison, et pas n’importe lequel, la réplique du premier voilier ayant fait le tour du monde, « Le Spray » de Joshua Slocum.
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Au moment de faire les comptes lors de la fin de mon séjour à Annecy, il y avait quelques évidences quand aux récompenses, mais Slocum et moi était lui un de mes derniers choix en terme de pronostics. Pourtant le film est loin d’être mauvais, je vais même le prouver plus-bas, mais clairement, ce n’est pas tant qu’il ne faisait pas le poids face à la concurrence que Slocum et moi représentait en réalité un point important, autant positif que négatif : la simplicité. Le metteur en scène avait notamment dit sur le lac « soyez un peu indulgent car c’est peut-être une œuvre de jeunesse », et si ça ne se sentait déjà pas au synopsis, Slocum et moi est une œuvre semi-autobiographique, un réel retour vers le passé fait en toute humilité et sensibilité. Car le but de Laguionie n’était pas tant de réaliser un égo-trip ou un délire nostalgique, mais de rendre hommage à une époque révolue, et surtout à ses parents, son père, au projet insensé qu’il a mené, mais qui résonne avec le projet du film, comme l’accomplissement d’un rêve ; mais aussi le changement après une époque sombre comme celle des années 40. Et là où Slocum et moi est simple, c’est qu’il se limite à ça, pas de grandes recherches esthétiques (du moins en apparence), pas d‘histoire extrêmement profonde ou marquante ni de réflexions très poussées, si ce n’est dans l’exploration de l’âme de ses personnages, et les relations qui s’ensuivent. Le long-métrage est en tout cas avant tout incroyablement tendre et joli, dans le sens où la simplicité, sur le papier quasi handicapante du récit, est totalement soignée, perfectionnée même, et l’empathie pour les personnages se ressent dès les premières minutes. De fait car c’est ce sur quoi s’intéresse Laguionie, il met en avant, dans cette histoire très simple, tous les petits détails, les anecdotes, les parenthèses, l’évolution de Jean, ses relations amicales et familiales autour de la construction de ce bateau, sur plusieurs années. Le film a beau être court, il se révèle assez dense, pas tant dans son scénario, simplissime, que dans la caractérisation de son univers et de ses personnages ; sans que ça vienne pour autant complexifier la trame scénaristique. C’est ce qui peut rendre le scénario de Slocum et moi handicapant, tant il se déleste de tout utilitaire, jusque dans sa finalité qui pourrait en frustrer plus d’un, mais au contraire, je trouve qu’il y a surtout une grande part de modestie de la part du metteur en scène, une tranquillité enchanteresse qui n’est pourtant pas sans apporter sa dose de mélancolie et de nostalgie ; toujours avec comme fil rouge, la construction du bateau.
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La forme, ou du moins, le procédé esthétique employé par Laguionie, sa prémisse artistique, peut ne pas accrocher tous les spectateurs, mais m’a touché, et me paraît tout à fait exemplaire dans son déploiement comme son approche. Pour autant, le réalisateur ne m’a pas paru tout réussir, et certains défauts, bien que palliés par les qualités, se voient d’autant plus au vu de la fragilité et vulnérabilité de l’ensemble. A commencer par la narration, qui, dans une moindre mesure certes, mais tout de même, propose un schéma très linéaire, qui empêche par moment au long-métrage de proposer quelque chose de vraisemblablement inattendu, ou du moins, neuf. La chronique familial voire l’instantané historique se limite peut-être trop à la prémisse qu’en fait Laguionie plutôt que son développement. Si cela ne m’a pas du tout dérangé, il en reste qu’à posteriori, je me dit que certains éléments de l’intrigue, ou du moins, l’évolution des personnages, manque parfois de substance, semble posé là plutôt que développé comme si le simple souvenir suffisait. Des fois cela rend les scènes subtiles voire universelles, de temps en temps, frustrantes et peut-être trop intimes. C’est notamment le cas pour le contexte historique, qu’on résume à mon goût trop à quelques anecdotes, souvent personnelles, l’atmosphère paraît dès lors, un peu quelconque et sans cette singularité promise au départ de contexte d’après-guerre, malgré la présence de plusieurs détails, qui restent malheureusement à ce simple stade. L’exercice de l’auto-portrait/biographie est difficile, car il faut se détacher de la subjectivité qu’on porte sur nous-même, à la fois pour être le plus juste possible, mais aussi et surtout pour toucher les spectateurs et pas uniquement son petit nombril, et c’est en cela que la sobriété de Slocum et moi est autant une qualité qu’une limite, le film peut être tout à fait universel et touchant dans sa pudeur, mais il peut aussi se révéler excluant pour ceux n‘ayant pas tous les codes auquel se réfère l’œuvre. Cependant au-delà de ça il y a peut-être un point qui m’a, lui, parfois mis à distance, et c’est l’écriture des dialogues, et surtout de la voix off. Slocum et moi fait partit de cette catégorie de films commençant par la fin, et résultant d’un long monologue intérieur du personnage principal, se remémorant le film qu’on s’apprête à découvrir. Je ne jugerai pas tant le procédé, tout à fait standard mais bien amenée, apportant par ailleurs une dose supplémentaire de nostalgie à l’ensemble, mais le texte, lui, fait souvent un peu défaut. Il est très écrit, parfois même assez artificiel et pas tant car il sonne faux, mais très, trop lettré, cela manque d’après moi de naturel et cela peut clairement me détacher de certains passages, parfois pourtant clé. Là où Adam Elliot pallie l’absence de moyens pour bonifier son style d’écriture, ici cela semble parfois un peu trop forcé, moins maîtrisé, ou plutôt, laissé tel quel dans son écrin le plus standard qui ne rend pas justice au sujet, tout en étant en dissonance dans son texte avec la simplicité de l’ensemble. Les dialogues, eux, sont pourtant d’une grande maîtrise, tout en simplicité là encore, mais les rares fois où les personnages conversent entre eux, toujours il y a de l’authenticité et une joliesse rapprochant le film d’une forme de nostalgie.
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Quoiqu’il en soit, Jean-François Laguionie reste un metteur en scène d’animation, et la forme de ses films prend une importance capitale dans le processus esthétique global, principalement car son style lui est propre, pour ne pas dire reconnaissable entre mille. Depuis Le Tableau notamment, il est un des premiers, bien avant la mode lancée par Into the spider-verse, à mettre en avant dans sa direction artistique un mélange de 2D pour les décors et de 3D pour les personnages. Évidemment, avertissement bien senti, Laguinonie n’a pas le budget et même l’ambition gargantuesque des Spider-man animés, et autant techniquement que visuellement, l’écart entre ces productions se ressent plus ou moins drastiquement et peut tout à fait déplaire. Car c’est peu dire qu’on sent le décalage entre ces deux dimensions, même dans le style visuel formel, l’animation des personnages, sans être réaliste, se veut à la fois anatomiquement assez précis, mais plus lisse, moins détaillé, comme des poupées ; là où les décors au style crayonné, sont justement très détaillés, voire stylisé dans l’ombrage ou le flou. Il y a un décalage certain qui se créé, et ce dernier peut autant déstabiliser que déranger, en grande partie par la rugosité de l’animation, son aspect beaucoup moins fluide, plus mécanique et machinal, presque figé dans les mouvements, les expressions faciales, ou même les décors, etc. On sent que tout tient par bouts de ficelle, ne peut pas être aussi abouti que des grosses productions, ce qui peut largement déranger ceux en qui les limitations techniques sont des freins à l’appréciation d’un métrage, mais c’est aussi ce qui fait le sel du métrage. On a d’autant plus l’impression de voir du fait main, en grande partie grâce à la direction artistique qui n’est pas sans rappeler une esquisse, comme là pour faire un rappel au projet du père, dans la construction du bateau. Un peu comme si ladite construction n’était pas que scénaristique, mais aussi plastique, un peu comme dans Le petit nicolas : qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?, une continuité se créée et vient autant justifier que rendre signifiante le style choisit par Laguionie. D’autant que ce style correspond à une intrigue profondément réaliste, ancrée dans le réel, là où ce style change légère, devient encore plus brut et simplifié dans les scènes mettant en image Slocum, dans l’imaginaire de François. Imaginaire déjà mis en image dans tout cet univers plastique singeant les années 50, en campagne principalement, on n’a jamais l’impression par ce biais, de voir un univers purement tangible et réel, ni fantasmé, mais réimaginé ; comme un souvenir qui prend plus ou moins forme, rendant la forme du long-métrage, émouvante et signifiante, même malgré lui.
Au-delà de la technique pure, il reste que dans Slocum et moi, Jean-François Laguionie propose une atmosphère et ambiance super charmante, qui fait tout le zèle du long-métrage, et c’est la raison pour laquelle, en dépit d’un ressenti simple, le long-métrage continue de m’habiter sur des points qui dépassent la technique, voire la manufacture, au profit de l’art et l’esthétique. C’est notamment dans le doublage que le film officie un très beau point positif, en effet, ce dernier, bien que servant un texte trop écrit, est d’une rigueur irréprochable, quelque soit les personnages, tous s’offrent une belle âme grâce au comédien derrière. C’est d’autant plus vrai pour le père, doublé par Grégory Gadebois, dont je découvre jour après jour les talents dans ce domaine après La plus précieuse des marchandises notamment. Le charisme de l’acteur se fond dans celui du personnage, et sa voix, roque et charismatique offre à ce dernier un ton impérial qui en impose beaucoup ; d’autant que le boug ne possède pas beaucoup de dialogue, comme le reste des personnages, mais lui et les autres, sont malgré tout remarquable et d’une humanité ébouriffante dans le ton. La musique aussi, plutôt discrète de souvenir, est superbe, jamais envahissante, pas non plus inventive, mais à propos, totalement en accord avec la temporalité du film et l’émotion que cherche à retranscrire Laguionie, du spleen intérieur aux ambiances de l’époque, on se sent continuellement happé dans l’univers du long-métrage. Et enfin, justement c’est ce qui rend Slocum et moi superbe, la retranscription d’une période passée par l’animation. Cette manière de rendre hommage par le souvenir, les petits détails, gestes et accessoires, pour redonner vie à une période le temps d’un film est parfaitement menée. Jamais rien de sensationnel mais toujours un charme fou, qui m’emporte, dans chaque ligne de dialogue, même la plus écrite, aux décors, on ressent une authenticité imagée, jamais vraiment plausible, mais toujours fascinante et tout simplement touchante. Jusque dans la mise en scène, simple, sans grand appareillage technique, mais toujours justement posée, car, posée, en toute finesse, on s’immerge dans cet univers avec une aisance totale, de la première, à la dernière minute, en grande partie car Laguionie reste constamment à hauteur de ses personnages et du souvenir qu’il a de son enfance.
Slocum et moi réussit son pari, celui de proposer en 75 petites minutes un voyage dans le passé, où le fantasme n’est jamais loin de l’authenticité, avec une modestie et simplicité, parfois en désaccord avec des dialogues très écrits, mais qui offre une joliesse tout à fait charmante, comme un baume au cœur.
Slocum et moi est en salle depuis ce mercredi !
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