"Avec ce film j’ai décidé d’aimer mon monstre intérieur"
Coralie Fargeat sur les motivations qui l'ont poussé à écrire son film
Il s'agit du film qui a le plus fait parler la Croisette cette année, et désormais c'est le monde entier qui va être abasourdi par ce deuxième long-métrage de Coralie Fargeat (une réalisatrice française quelle fierté).
The Substance est le film Body Horror de l'année, celui qui brutalise nos cerveaux et retourne nos estomacs. Mais c'est aussi celui qui énonce quelques vérités souvent ébruitées.
Que raconte-t-il ?
Elisabeth Sparkle est une ancienne gloire Hollywoodienne, à présent sur le déclin elle anime un show télé sur l'aérobic.
Sitôt mise de côté, elle prend connaissance de l'existence d'une substance qui permet d'obtenir une nouvelle version de soi. Une version parfaite. Bien sûr, elle n'a pas conscience qu'une fois qu'elle débute le processus, elle tombe dans un engrenage dont elle ne sortira pas indemne.
Si sur papier, le concept parait un peu abstrait, à l'écran, l'idée prend une telle forme qu'on salue l'audace de Fargeat pour l'avoir poussé au bout de son potentiel.
On ne pourrait voir The Substance que comme un film de genre assez provocateur, qui propose quelque chose de plus que les autres. Ce serait une erreur, il y a bien plus !
Le scénario de Fargeat s'inspire d'un système artistique (le fameux show-biz), qui rejette le défaut et l'imparfait pour ne laisser que plus de place à la beauté superficielle et à la perfection.
Cette fameuse substance est une métaphore très visible de toutes ces drogues et chirurgies qui ont abîmé voire tué certaines gloires du cinéma dans les années 90, 2000.
Pas d'interprétation grossière, c'est ce qui se passe à l'image. Et quand on vous disait que ça allait loin, là encore pas de mensonges pour survendre, le message derrière, souhaite repentir la vérité sur le corps de la femme à un âge où il n'est plus le même que dans ses jeunes années.
DE LA PROVOCATION VÉRITÉ
Avec ses actrices (l'iconique Demi Moore et la vedette montante Margaret Qualley), celle qui avait déjà signé un film sur "la femme" avec Revenge, peut matérialiser son idée à son plus haut potentiel, avec les images les plus fortes qui soient, sans aucune pitié ni peur dans les yeux.
Fargeat, qui cite notamment Carpenter et Cronenberg réputés pour leur traitement si singulier du corps et de la mutation génétique, peut s'applaudir d'avoir allégrement repris ses aînés pour en faire un discours si dénonciateur des médias qui subliment en permanence "le beau " .
"Requiem For a Dream a aussi été important pour moi, sur la thématique de l’obsession, essayer d’être toujours plus belle et se rendre de pire en pire "
La réalisatrice cite aussi le film de Darren Aronofsky parmi ses influences sur le traitement de l'obsession.
Alors oui, si elle s'inspire de légendes pour donner corps à ses intentions, on peut dire qu'elle écrit elle-même la sienne en jouant avec les siennes. La fougue et l'effort qu'elle déploie pour rendre son scénario le plus explicite possible sont remarquables. Elle apporte un regard féminin très engagé sur l'omniprésence des corps à travers divers médias, comme pour tirer à balles réelles sur la misogynie, pour cela elle ne se prive jamais de faire des plans très resserrés sur les formes de ses actrices.
Tout cela pourrait être perçu comme de la provocation, mais c'est surtout un film qui aborde les vrais problèmes de la société actuelle, et aussi ceux des générations passées.
Dans ce "mouvement", on peut aussi citer le Titane de Julia Ducournau. Plus animal, plus violent, mais la manière dont Ducourneau sexualise son actrice (Agathe Rousselle) pour ensuite la brutaliser, renvoie aux intentions de Fargeat.
TOUT CONTRE LE FAUX
Plus invraisemblable encore que la mutation d'Elisabeth à Sue, le virage que tout cela va prendre au fur et à mesure, et à quel point cette thématique de l'obsession va prendre son sens dans la dernière partie du film . On ressent là un besoin d'exprimer une certaine rage à l'égard d'un univers artistique façonné sur le faux et la vulgarité. Colère exprimée dès la première minute, avec l'étoile hollywoodienne d'Elizabeth souillée et délabrée au fil du temps. Sublime message de la réalisatrice qui n'est qu'une profonde vérité sur la façon dont Hollywood et ses grands noms ont traité les femmes imparfaites à leurs goûts.
The Substance prend soin d'exhiber le répugnant, et de se moquer du superficiel. Le but étant d'anéantir le stéréotype, chose que Coralie Fargeat prend un malin plaisir à faire dans un climax aussi hilarant que monstrueux (dans tous les sens du terme).
L'ultime but est aussi d'énerver le regard masculin qui assiste un peu plus à chaque fois à la déconstruction de ce corps féminin temporairement parfait, qui n'est que le fruit d'une surconsommation. Là encore, le film dénonce, quitte à gêner.
C'est aussi pour cette raison que Demi Moore est la figure féminine idéale pour porter ce scénario, elle qui a tant séduit le monde entier deux décennies plus tôt. Son ancienne image de sex-symbol sert à un film qui veut abolir cette tendance.
UN FILM QUI FERA PARLER ?
On voit d'avance une partie du futur public se révolter contre un bon nombre de choix du film, mais c'est indéniablement une proposition précieuse pour le cinéma de genre. Une œuvre (de protestation ?) qui grossit le plus possible son propos pour se faire entendre et remuer les consciences.
Et si Cannes en a été retourné, tout porte à croire que la majorité des spectateurs le seront aussi.
On est au moins certain qu'il ne sera pas oublié de sitôt, tant la matérialisation des idées de Coralie Fargeat donne quelque chose d'hallucinant, s'en est presque visionnaire malgré son côté surréaliste et gore. Quelque part entre les travaux de David Robert Mitchell, Lynch et Cronenberg, Fargeat s'insère parmi les nouveaux auteurs à suivre avec beaucoup d'attention. De ceux qui osent bouleverser les festivals et les salles du monde entier, et nous, on adore ça.
The Substance est à voir absolument !
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